L'histoire :
Lee débarque un beau matin à Buckton, une ville où personne ne le connait, pour prendre un job dans une librairie. Le patron va être absent un moment, il sera en charge de l'activité, et pourra faire connaissance avec la population de la ville. Lee est hanté par un souvenir récent, terrible et violent, l'histoire d'un jeune garçon que lui et son frère connaissaient bien. Au drugstore en face de la librairie, Lee sait qu'il va croiser les jeunes filles qui s'ennuient dans cette petite ville où rien ne se passe. Un physique de playboy, une flasque d'alcool dans la poche et une manière très directe d'engager la conversation vont faire le reste. Il organise des après-midi au bord du lac, et les jeunes filles succombent à ses charmes l'une après l'autre. L'arrivée de Dexter, un jeune homme très riche qui voit en Lee un camarade de jeu idéal, va tout accélérer. Les soirées qui tournent aux orgies, les filles ivres qui ne réalisent pas ce qui leur arrive. Leur âge importe peu pour Lee, leur statut social est souvent le déclencheur de son envie de les dominer. Il est là pour accomplir quelque chose d'autre, un destin sombre qui passe par cette emprise sexuelle. Car malgré son visage blanc, Lee a des racines de couleur, invisibles pour la plupart, mais dont il a une conscience aiguë. Et il se souvient de ce gosse que son frère et lui connaissaient bien.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Jean-David Morvan est un des scénaristes les plus doués pour réaliser des adaptations de romans et les transformer littéralement sur le plan narratif, pour en faire des bandes-dessinées authentiques. Un peu comme si, dans le cas présent, il avait pu discuter avec Boris Vian et se mettre d'accord sur ce qu'il fallait garder du récit original, et ce qu'il fallait actualiser. Mais aussi comment conserver ce côté très violent, provocateur et cynique, tout en gommant des scènes purement irracontables aujourd'hui. Des moments très borderline qui sont carrément insupportables dans l'oeuvre d'origine, sauf à prendre un recul distancié pour tenter de comprendre les intentions de l'auteur. La polémique qui avait suivi la sortie du roman pourrait reprendre sans fin. L'aventure de Lee est un véritable polar sur fond de message social et racial , un message ténu presque imperceptible, enraciné dans les pensées de Lee. Morvan réussit à rendre cette histoire totalement actuelle, bien que parfaitement positionnée dans l'Amérique d'après guerre. L'équipe de dessinateurs qui met en image cette montée en violence dérangeante réussit à donner vie à la fois aux personnages sans scrupules et à leurs victimes délurées avec une vraie finesse et beaucoup de précision dans les regards et les expressions. Un travail très maîtrisé, remarquablement découpé, avec entre autres Rafael Ortiz et le philippin Rey Macutay, déjà présent aux côtés de Morvan dans son adaptation de Ravage, une autre réussite. Une lecture percutante mais dérangeante, une manière très intelligente de redonner vie à un roman dont le titre est culte.