L'histoire :
En 1908 à Londres, une petite fille entre dans le bureau de son père et y dérobe un cigare. Elle le hume : elle aime cette odeur. Son père la découvre ainsi, et pour lui faire passer l'envie de recommencer, lui allume et lui demande de fumer. La mère entre à ce moment-là et se met dans tous ses états : au lieu de la dégoûter, cela plaît à la jeune Marion Barbara. Très tôt, l'enfant sait qu'elle est queer, mais ses parents essaient de la changer, essaient de la faire devenir une « vraie » petite fille. Alors qu'elle a cinq ans, elle tombe du dos d'un chameau dans un zoo et reste inconsciente quelque temps. En se réveillant, elle fait le choix de se faire renommer Tuffy. Elle souhaite devenir sa propre création, se façonner comme elle le veut. L'année de ses onze ans, ses parents l'envoient en Amérique, en pensionnat, pour éloigner sa mauvaise influence de son frère et de sa demi-sœur. Ce qui aurait pu être vécu comme une punition, est au contraire perçu comme une libération. La jeune fille embarque à bord d'un paquebot, et commence à vouer une véritable passion pour ce moyen de transport. Ses années d'internat seront belles, synonyme d'indépendance, d'une nouvelle vie. Elle tombe amoureuse à maintes reprises des filles qui l'entourent. La seule chose dont elle a peur, c'est de devoir rentrer à nouveau en Angleterre, auprès de sa mère et de ses multiples conquêtes. Et à force de redouter ce moment, il finit par arriver. Mais ce retour lui permettra aussi de s'accepter comme elle est, comme elle souhaite devenir. Elle changera à nouveau de prénom et choisira le surnom de Joe. C'est cette nouvelle identité qu'elle façonnera, faite de conquêtes féminines, de grandes fêtes, de sensations fortes, de bateaux et d'un meilleur ami qui sera une poupée...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Marion Barbara Carstairs fut une femme pour le moins atypique, à la vie fougueuse et passionnée, comme tout droit sortie d'un film hollywoodien. Pourtant, malgré cette vie extraordinaire, elle est tombée dans l'oubli. C'est seulement en 1997, qu'une journaliste britannique réalise un travail d'investigation, et publie un livre retraçant son parcours The Queen of Whale Cay, qui n'a pas été traduit en français. Feu Hubert (qui signe ici son dernier scénario) et Virginie Augustin se penchent sur cette figure féminine et adaptent librement sa vie, sous la forme d'un biopic qui ne vise pas l'objectivité. Nous la suivons donc de sa très jeune enfance jusqu'à sa mort. Nous découvrons cette femme qui préfère prendre l'identité d'un homme, mais conserve son corps féminin, pour vivre en société et poursuivre ses rêves. Amoureuse de la vitesse, elle réalisera de nombreuses courses en bateaux, mais sera également chauffeuse pendant la première guerre mondiale. Elle décidera même de monter sa propre compagnie de taxis féminins : conduits et réparés par des femmes. Fille d'une famille aisée, elle profitera de son argent pour organiser de grandes fêtes fastueuses, et mènera la grande vie à travers un impressionnant enchaînement de conquêtes. Ouvertement homosexuelle, elle n'aura pas peur de se montrer, de s'affirmer. Ne manquant pas de confiance en elle, un brin narcissique, elle finira par acheter une île au Bahamas et y régnera d'une main de fer, en imposant sa vision des choses aux populations indigènes. A la fois insupportable et admirable, nous ne pouvons nier qu'elle suscitera la controverse, et que sa vie fut hors du commun. Le scénario est bien mené et permet de balayer l'ensemble de la vie de Joe la pirate, mais quelques longueurs ou redondances sont perceptibles. Les illustrations, quant à elles, sont élégantes, composées de traits fins, mais elles manquent parfois de volume. Une colorisation aurait apporté plus de profondeur. Une bande dessinée qui permet enfin au public francophone de découvrir le parcours d'une femme au destin extraordinaire mais tombée dans l'oubli.