L'histoire :
Angoulême, 1975. Jean Giraud explique à l’auteur comment réaliser une bonne dédicace. Un petit retour en arrière s’impose : le grand Dominique Hé quitte sa région natale en 1971 pour tenter sa chance à Paris. Il se présente d’abord au concours des Beaux‑Arts, où il est recalé. Puis il approche quelques galeries parisiennes, sans succès. Après une année peu concluante en école d’architecture, il s’oriente vers la faculté de Vincennes, intégrant le cursus de décors de théâtre. Pour vivre, il devient gardien des clefs de l’atelier universitaire. C’est ainsi qu’il découvre, derrière une porte dérobée, le monde de la bande dessinée. Le professeur ce jour-là n’est autre que Jean Giraud. Dominique est immédiatement séduit par cette discipline. Sous la direction de ce grand maître, il est présenté à Philippe Druillet pour perfectionner ses décors, puis à Jean‑Claude Mézières pour travailler ses personnages. Après un cours obsessionnel sur le charnu de Laureline avec Mézières, Dominique abandonne ses études à la faculté, sans pour autant quitter son poste de gardien des clefs du temple. Il continue de dessiner, toujours sous l’égide de Jean Giraud, se documentant à partir d’ouvrages d’anatomie tout en suivant son instinct. Grâce à son professeur, il rejoint la rédaction de Pilote, où il collabore longtemps avec Serge Le Tendre. Lors de ces années d’apprentissages, il rencontre Marcel Gotlib, Claire Bretécher, Nikita Mandryka, Philippe Koechlin et bien d’autres. Puis, grâce au soutien de ses parents, il peut emménager dans un appartement plus spacieux et se consacrer pleinement à la BD. Ce deux‑pièces accueille alors plusieurs auteurs de l’époque, parfois le temps d’un simple match de Roland‑Garros. Vient ensuite le passage à Métal Hurlant, où Philippe Manoeuvre affiche une bonne humeur, mais c’est heureusement Jean‑Pierre Dionnet qui a le dernier mot. Il fait également la connaissance du modeste Jacques Martin, d’Alain Voss autour d’une cigarette, ainsi qu’une autre rencontre, plus maladroite, avec Annie Goetzinger. Si Dominique Hé est devenu celui qu’il est aujourd’hui, c’est avant tout grâce à toutes ces rencontres qui l’ont façonné.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dominique Hé, figure majeure de la bande dessinée française du XXe siècle, s’est fait connaître dès les années 1970 grâce à ses contributions dans Pilote et Métal Hurlant. Dans cet ouvrage, il revient sur ses années d’errance artistique à Paris, un parcours sinueux qui l’a conduit à la porte du 9e art. Ces années furent fécondes en rencontres et en collaborations, lui permettant d’apprendre aux côtés de grands maîtres de la bande dessinée. S’il s’est longtemps illustré dans des genres comme la science-fiction ou le thriller. Aujourd’hui, à 76 ans, il met en case un récit autobiographique. La lecture de cet album offre un plaisir particulier : on y reconnaît les univers graphiques des auteurs qu’il a côtoyés, dont il emprunte les styles avec finesse. Chaque page est une forme d’hommage visuel, où l’on perçoit les influences et les clins d’œil. Pour les lecteurs de sa génération, l’album est empreint d’une douce nostalgie, une plongée dans les souvenirs d’une période, dans les séries et les revues mythiques de l’époque. Pour les plus jeunes, cet ouvrage a une valeur documentaire : il permet de saisir l’évolution de la bande dessinée, tant dans ses formes graphico-narrative, que dans sa sociologie. Il témoigne aussi d’un tournant majeur du 9e art, marqué par l’émergence des autrices, qui ont enrichi les récits par de nouvelles thématiques et ont contribué à déconstruire le regard masculin stéréotypé porté sur les corps féminins. A convoquer le passé, l’auteur s’adresse surtout à ses pairs, risquant ainsi de laisser en marge ceux qui n'ont pas partagé ces codes ou ces références.
