L'histoire :
En l’an de grâce 1508, un pèlerin esseulé se hâte de traverser à pied la baie ensablée du Mont Saint-Michel, tandis que gronde la marée. N’écoutant que son courage, Jehan, le capitaine des gardes, vient à sa rencontre avec une monture. Les deux hommes se réfugient juste à temps derrières les murailles de la ville fortifiée. L’homme en robe de bure se présente : il est le frère Tiburce, bâtisseur, et il est venu pour remplacer le précédent maître d’œuvre du chœur de l’abbatiale, décédé dans un mystérieux accident. Les abbés de la loge l’accueillent avec circonspection, mais lui accordent néanmoins une cellule et un apprenti, le jeune Josquin. Le lendemain, Tiburce visite le fabuleux chantier de la nef et démontre ses grandes compétences techniques et son agilité, étonnante pour un vieil homme ! Il fait également connaissance de frère Grégoire, un moine dément au visage défiguré (jadis, par la foudre) et du « lézard », un gamin acrobate insaisissable, qui nargue les ouvriers du plus haut des édifices. Derrière un savoir-faire architectural certain, Tiburce cache toutefois ses réelles intentions. Il dissimule des colifichets et jure parfois en évoquant des dieux celtes, car il s’avère être… un druide ! D’ailleurs, la confrérie des prêtres a senti le retour du « dragon » et se prépare à chasser de nouveau l’hérésie du Mont…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans ce double album (96 planches) estampillé de la collection Vécu, Armand Guérin signe un polar médiéval complet aux relents ésotériques. Au cours de son intrigue, le scénariste semble avoir cherché en premier lieu à faire un petit tour des attraits touristiques du Mont Saint-Michel. On a donc le privilège de flâner dans les ruelles étroites de la ville, la longue montée en escalier jusqu’à son sommet, ses fortifications, le cloître, le gigantesque réfectoire, la chapelle Saint Aubert, les pinacles du chevet, le cœur de l’abbatiale en construction, mais aussi la mère Poularde, les passages secrets, l’Archange au sommet… Ce cadre unique et prestigieux (qui a du nécessiter une riche documentation) est mis en relief par Vincent Lacaf, qui ne ménage pas sa peine pour varier les angles de vue : de quoi se rassasier du Mont sous toutes ses coutures ! Si le dessin en lui-même est pro, les planches sont néanmoins très chargées, surtout en raison d’une colorisation saturée et lourde. Bref, cette visite (non-guidée mais agréable) ne semble pourtant pas la finalité narrative de l’ouvrage. Par l’entremise de ce héros ambigu et ambivalent qu’est le druide Tiburce, Guérin confronte le mysticisme catholique des lieux aux anciens dogmes celtiques. Certes, le personnage est quelque peu bancale : vieux mais incroyablement svelte, druide et moine à la fois, architecte pointu et grand-prêtre hérétique… En marge d’investigations envoûtantes et d’actes de bravoures spectaculaires, on peine à cerner la cohérence de sa démarche, à croire dans la psychologie des personnages, à accrocher au rythme et, dans la dernière ligne droite, on sombre dans un grand-guignolesque un peu désuet. Dommage…