L'histoire :
Dans l’Angleterre victorienne, Monsieur Edouard rentre à Londres, après un séjour ennuyeux à la campagne. Son majordome James l’accueille avec un parapluie sur le parvis de sa luxueuse demeure. A l’intérieur, des dizaines de domestiques s’affairent en permanence à astiquer les planchers et à lustrer les meubles, sous la houlette de l’intransigeante gouvernante, Ms Oliver. Parmi ces employés, Lisbeth a un physique ingrat, mais elle est dévouée, travailleuse et discrète. Le retour de « Monsieur » en émoustille certaines, car ce jeune dandy est beau, réputé bien membré et très expérimenté… mais pas elle. Lisbeth se concentre à chaque instant à bien faire ce qu’on attend d’elle. Un soir de mariage princier, elle reste ainsi tenir la maison en compagnie de la vieille cuisinière, alors que tous les autres domestiques ont quartier libre. Tard le soir, elles sursautent toutes deux, lorsqu’un cocher toque à la porte de la cuisine. Il ramène « Monsieur » inconscient et ensanglanté. Tandis que la cuisinière file chercher un médecin, Lisbeth s’occupe de son patron. Elle le déshabille, le couche, le nettoie et veille le restant de la nuit à ses côtés. Le lendemain, Monsieur l’appelle pour la remercier. Toujours suffisant et méprisant, il n’a aucune honte de s’être adonné à une énième nuit de débauche qui a failli mal tourner. Le regard et la sagesse de Lisbeth lui plaisent. Il exige à ce que, désormais, ce soit elle qui s’occupe de lui lors de son retour de ses « expéditions nocturnes »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans le contexte de la noblesse britannique sous l’Angleterre victorienne, Monsieur Désire met majoritairement en scène les rapports ambigus entre deux personnages omniprésents. D’une part, la discrète domestique Lisbeth, pourvue d’un physique ingrat mais d’une vertu à toutes épreuves, montre un prodigieux sens de l’écoute, une sobre compassion. D’autre part, « Monsieur » Edouard, dandy mondain, abuse de ses charmes et profite à chaque instant de sa réputation de séducteur richissime, non sans suffisance et sens de la provocation. Néanmoins, sa pleine conscience de son mépris pour autrui et pour la vie en général, empêche le lecteur de le détester tout à fait. Ses frasques nocturnes déviantes et limite suicidaires tranchent radicalement avec sa condition noble, qui l’amène à être d’une grande courtoisie – à jeun ! Lesdites frasques réservent d'ailleurs l'ouvrage à un public averti. Cette psychologie des extrêmes valide la société britannique victorienne dans son ensemble, au sein de laquelle les plus grandes fortunes (l’Angleterre était alors la première puissance mondiale) côtoyaient l’indigence ultime (relisez Dickens). A travers son scénario d’une grande finesse, Hubert dépeint tout à la fois la vanité de l’existence, une histoire d’amitié ou de confiance humaine capable de transcender les conditions, mais aussi et surtout les mentalités de toute une époque. Ses dialogues soignés confirment tout le talent de ce scénariste, qui termine le one-shot par un épais dossier historique illustré. L’ensemble est mis en scène par Virginie Augustin dans un style graphique moderne, à la fois réaliste (dans les décors) et caricatural (sur les faciès des personnages), d’une grande virtuosité dans les cadrages et les postures. La moindre de ses ombres griffonnées sonne juste, et sa colorisation sobre en teintes délavées peaufine la tonalité toute en retenue. Sans aucun doute l’une des meilleures œuvres de 9ème art de l’année !