L'histoire :
Et si le Casanova de Federico Fellini quittait son décor de théâtre pour intervenir dans un spot de publicité télévisée qui surgit au beau milieu d'une réplique cruciale ? Que ferait-il de la jeune femme dénudée qui vante le mérite de couches-culotte ? Comment va-t-il, dans sa langue soignée et ses bonnes manières, se confronter à la simplicité abrutissante de « Couche-Prop » ? A quoi serait prêt un photographe branché pour réaliser la pochette d'un disque de blues, lorsqu'il embauche un clochard pour poser comme le Vieux Guitariste de Pablo Picasso ? Que va-t-il faire si le comédien amateur n'a pas l'air assez triste ? Et finalement, jusqu'où le besoin d'inédit d'une caméra cachée peut-il amener les producteurs en mal d'originalité, notamment quand ils proposent une somme folle à des femmes pour qu'elles montrent leur sexe en pleine rue à la caméra qui les filme. Autant de questions autour de l'exigence des images, du besoin de montrer et d'aller plus loin, sans scrupules et sans aucune morale. Où l'on voit que la décision finale incombe à ceux qui détiennent le pouvoir de l'argent, qui pour les servir trouveront toujours des exécutants. Même si parfois, les manipulateurs ne sont pas ceux qui le croient, lorsqu'un quidam leur vole le mot de la fin...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Milo Manara n'est pas que le dessinateur le plus talentueux du corps féminin. Connu avant tout en France pour Le Déclic ou Le parfum de l'invisible, ses œuvres les plus célèbres dans le domaine du porno chic, il est également un excellent metteur en scène de bande dessinée. La succession de « courts-métrages » rassemblés dans cet album donne un aperçu de son style, qui évolue dans les années 80 et 90 pour s'alléger et s'éloigner de l'influence de Gir (alias Jean Giraud ou Moebius), le grand dessinateur dont il reconnait humblement la séniorité en préface de cet album. A ce titre, l'histoire intitulée X3 démontre la finesse du trait et l'élégance aérienne époustouflante dont ce grand artiste est capable, même si c'est presque toujours pour l'appliquer au corps dévoilé de femmes minces et belles (on ne s'en plaint que lorsqu'on n'est pas prévenu). La réédition de ces histoires courtes (parues notamment sous les titres Courts Métrages ou Candide Caméra) donne un bel échantillon de son talent, chacune étant habilement et efficacement bouclée. L'hommage à Fellini ou la référence au tableau de Picasso témoignent de l'ouverture d'esprit et de la curiosité artistique de Manara, qui n'a pas toujours cédé à la facilité scénaristique pour dévoiler le corps de ses personnages féminins reconnaissables entre mille. Le principe de ces mini-récits en quelques planches, en revanche, fleure bon les années 80, une époque où les nombreux mensuels de BD pour adultes (notamment en France A Suivre et surtout L'Echo des Savanes) étaient le terrain d'accueil de ces prépublications. Légères ou intello, habiles ou fumeuses, comme celle consacrée à John Lennon, elles affichent ici gentiment leur âge. Mais au final, ne serait-ce que parce que certaines d'entre elles ne montrent aucune femme nue, ce recueil vaut le détour. Il permet un parcours intéressant dans l'univers très personnel et cohérent d'un fabuleux dessinateur de BD pour adultes.