L'histoire :
Raoul Fulgurex est « contrôleur d'intrigue » de 3e échelon, actuellement en poste au sein d'une série B se déroulant dans un décorum urbain chinois des années 20 : L'enfer de Shangaï. Cela signifie que, comme bien d'autres fonctionnaires chargés du respect de notre patrimoine narratif, il doit veiller à l'application stricte des circulaires scénaristiques, afin que ladite fiction reste sur les bons rails. Secrètement, Raoul est alors totalement subjugué par la beauté et la sensualité de Balmine Fuso, la perle des Caraïbes, l'une des protagonistes du récit. Or, il se trouve que le scénario doit aujourd'hui conduire Balmine à être flinguée. Raoul ne peut supporter un pareil rebondissement. Il commet alors une faute professionnelle grave : il intervient en totale contradiction avec le scénario et sauve la vie de Balmine. La belle lui en est gré et lui accorde un baiser romantique, avant de disparaître dans la foule interlope. De retour au vestiaire avec ses collègues, Raoul est logiquement convoqué chez le boss du cinquième bureau pour recevoir son blâme : il est muté chez les brigades d'intervention. Après l'épreuve traditionnelle du sas de conditionnement (les périls de la jungle et une attaque de pygmées), il se retrouve donc sur le quai du Crabe au pinces d'or, juste avant que Tintin manque d'être écrabouillé par une caisse de boîtes de crabe...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quelques années après avoir créé Raymond Calbuth, Didier Tronchet avait une idée de génie traitée avec le sens de la dérision ad hoc : le concept Raoul Fulgurex, aventure parodique et burlesque. A travers cette série, Tronchet s'amuse à tourner en dérision les sacro-saints lieux communs narratifs, soit la forme du médium BD au profit du fond. Il réitèrera l'exercice 10 ans plus tard, dans un registre identique et avec le même bonheur, à travers Houppeland. Lui-même héros ET contrôleur de héros, Raoul et ses collègues sont ici des sortes de marionnettiste des éléments intrinsèques aux fictions, et à ce titre tout devient possible. Ce principe de base amène en effet les 3 tomes à être totalement foutraques : on passe de décorum en décorum comme autant de stations de métro, et les rebellions successives des personnages récalcitrants à appliquer leurs rôles sont l'occasion de moult bouleversements dans les consensus narratifs. Ajouté au sens de la réplique assassin et/ou absurde de Tronchet, c'est une pure jubilation. Initialement parus à la fin des années 80, les trois tomes sont aujourd'hui réunis par Glénat en une seule édition intégrale. Hélas, celle-ci est contrite dans un petit format qui ne rend guère hommage au dessin chiadé de Dominique Gelli. Car évidemment, un « contrôleur d'intrigue », ça intervient au sein des fictions les plus exotiques et spectaculaires qui soient, de la jungle de King-Kong aux champs de batailles dantesques, en passant par le naufrage du Titanic, les treks en Himalaya ou le Shangaï tumultueux des années 20. Dépaysements et délires avec un D majuscule !