L'histoire :
Antoine passe ses derniers jours au village en compagnie de sa jeune épouse Thérèse, avant de monter avec son troupeau de moutons sur le plateau de Derborence. Les deux jeunes gens se baignent dans une rivière et font le plein de tendresse avant la longue séparation à venir. Trois mois, ça va être long ! Au matin du jour J, Antoine offre à sa dulcinée un joli caillou en forme de cœur poli. Puis il monte dans les estives avec le vieux Séraphin et les moutons. Après une longue randonnée, ils s’installent dans l’un des chalets d’été et accomplissent leur ouvrage de bergers. Séraphin constate que la séparation est rude pour son jeune ami. Un soir, autour du feu, il lui propose de redescendre quelques jours. De son côté, il sera bien capable de se débrouiller seul quelques jours ! Au cours de cette soirée silencieuse, le moindre bruit est amplifié. Une dalle qui craque au soleil, une goutte d’eau qui tombe, le feu dans le toit de la grange…Mais un bruit plus sourd se fait également entendre venant du dessus et il inquiète Antoine. Séraphin lui rappelle qu’en haut, un glacier pousse… Ce n’est pas pour rien qu’on appelle l’endroit « les diablerets ». Selon Séraphin, le diable habite en haut. Et régulièrement, il incite ses diablotins à jeter leurs palets contre « la quille », un bloc rocheux proéminent en bordure de falaise…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il n’y a pas que chez Roger Frison-Roche ou Jean Giono que la nature est le prédateur cruel de l’Homme. Dans son roman alpin Derborence, publié en 1934, Charles-Ferdinand Ramuz fait s’écrouler une montagne sur les bergers. L’écrivain suisse s’inspirait d’un authentique éboulement dramatique survenu aux Diablerets en 1714 (15 morts). Pour autant, dans cette adaptation en bande dessinée – ou plus exactement en « roman graphique » – le genevois Fabian Menor n’inscrit pas l’évènement dans une période historique précise. La pratique des estives est pluriséculaire et elle ne nécessite rien d’autre qu’un élevage d’ovins, la vie communautaire paysanne rustique et la toute-puissance de la montagne. On devine dès le début la nature de la tragédie à venir, qui survient dès le premier quart. La suite donne sa dimension au drame, entre désespoir et fantasmagorie, et à la toute-puissance de la montagne. Le format du roman graphique, le parti-pris des coups de pinceaux charbonneux, des lavis monochromes – de différentes teintes de gris ou d’ocre – permettent régulièrement de rester dans le suggéré plutôt que dans le concret, dans le non-dit contemplatif qui ne s’embarrasse d’aucun pathos et restitue la part de mystère de l’œuvre originale.