L'histoire :
Nord-est du Brésil. Cristovao et sa femme vivent dans une petite maison, perdue au milieu de vastes étendues désertiques avec leur fille Rosa, handicapée de naissance. Ils tirent leurs maigres ressources de la ferme que Cristo essaie de maintenir malgré le manque d'eau. 365 jours sans pluie ; il semblerait que Dieu ait décidé de priver d'eau les habitants de cette région. Les animaux meurent, les oiseaux tombent du ciel. Si ce manque ressemble à une malédiction biblique, il faudra peut-être un sacrifice pour que la famille revienne en grâce auprès du seigneur...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l'aune de l'anecdote racontée par le prêtre un soir dans la cabane de la famille – évoquant l'histoire d'un voyageur vouté, portant une énorme pierre sur le dos, des raisins autour du coup, une courge sur la tête et une lourde pierre dans chaque main, qui va finir par s'alléger alors que des personnes croisées sur son chemin l'interrogent sur chacun de ces fardeaux – il est parfois nécessaire d'accepter de se délester. Ce drame porté par une poésie digne d'un roman de Gabriel Marcia Marquez prend le temps de se dérouler, à l'image d'un lézard se déplaçant entre les rochers, ou d'un filet d'eau serpentant entre les crevasses d'une terre trop sèche. Parfaite maîtrise du sujet, de la narration séquentielle et du graphisme : tout nous porte ici à déguster ce conte réaliste doux amer, en subissant, non sans un certain masochisme, le suspens magnifiquement étalé. Au-delà d'un récit coup de poing, où les silences savent se faire très présent sans oublier la dureté et la précision des dialogues, tout comme la religion chrétienne infuse l'histoire sans la vampiriser, Lukas Ionanathan aborde la thématique du handicap avec une sincérité et un aplomb époustouflant, décrivant les efforts surhumains dont doivent faire preuve les familles concernées. Ajoutant au propos maîtrisé une patte graphique épurée d'une maturité déconcertante, nous gratifiant de pages aérées à la bichromie noir orange d'une violence contrainte, et d'une encre parfois en aplats, parfois frottée pour signifier les éléments naturels, celui-ci nous positionne, tout comme ses protagonistes, sous le feu de l'orage bienfaiteur et libérateur, telle une succulente révélation. Et si la foudre doit s'abatre sur les impurs, le fleuve gardera son rôle salvateur. Un chef d'œuvre.