L'histoire :
Daneri est un ancien flic… peut-être. En tout cas embauché comme une sorte de détective, ou d’homme de main, par des particuliers, afin de régler des différents. Il traine sa vieille carcasse désabusée engoncée dans un pardessus au sein du quartier excentré de Buenos aires Mataderos, sans crainte et avec parfois une certaine violence. Comme cette fois où une vieille dame, inquiète pour son fils délinquant, lui demande de le surveiller. Cependant, ce dernier, effrayé par l'allure de Daneri qui les suit, lui et sa petite amie, dans une rue sombre, sort son arme et se fait tuer en retour. Mais c'était en fait le vœu original de sa mère... Ou bien lorsque, dans cet autre épisode, la femme mannequin qui a embauché Daneri fait fracasser les doigts de son amant pianiste soi-disant harceleur, alors que la fourbe, c’est elle. Son visage s'en trouvera marqué.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l'époque où le duo Trillo-Breccia père (« le vieux », son surnom) accouche de ces histoires, l'argentine s'apprête à renommer Juan Domingo Peron président, après deux premières mandatures entre 1946 et 1955. Comme l'explique Laura Carabello dans son prologue, l’Argentine va être marquée par la guerre sale contre le communisme, les divisions internes et les actions révolutionnaires. La violence sera fortement présente dans les rues et tout cela débouchera sur les années sombres de dictature suivant le décès de Peron en 1974 et le coup d'état de 1976. Férus tous deux de littérature, Carlos Trillo et Alberto Breccia vont écrire ces histoires dans l'ambiance des cafés palabres qu'ils affectionnent (« Charlas de café »), début d'une longue et riche collaboration. Publiées entre 1974 et 1978, entre l’Argentine et l’Espagne où ils ont émigrés, ces huit histoires permettent aux deux auteurs de donner de la matière à leur production, en y intégrant à la fois une touche vécue, car s'inspirant de l'enfance de Breccia dans ce quartier, mais aussi une ambiance de romans noirs, entre autre influencée par les écrits de Borges. Si Carlos Trillo est encore jeune à l'époque, Alberto Breccia va rentrer, lui, dans une phase créative avant-gardiste. Influencé par HP Lovecraft, il va développer sa technique mixant monotype, projections de tâches d'encre (le Dripping cher à Pollock), mais aussi les collages, dont une scène avec photo de Deux-Chevaux dans l'épisode le Barbot est à la fois significative et assez inédite. Néanmoins, le meilleur reste à venir avec son adaptation des Mythes de Cthulhu en 1973. Daneri est donc une œuvre que l'on pourrait qualifier de « transitoire » dans sa carrière. Elle rappellera d'ailleurs fortement sa série Mort Cinder, dont les planches créées dès 1974 auront déjà profité de cet entrainement. Huit histoires sombres, quelque peu « amorales », mais d'une violence et d'une poésie enivrantes, à la valeur patrimoniale indéniable. On regrettera juste, malgré le soin apporté à l'édition, que les originaux n’aient pas été existants pour l’impression.