L'histoire :
De nos jours, alors que Paris est traversée de manifestations violentes, l’inspecteur de police Hippolyte Cisife rejoint ses collègues de la crim’ au fond d’une ruelle sordide de la capitale. Une femme d’une trentaine d’années a été retrouvée assassinée par un pseudo journaliste pour un blog d’investigation. Tandis que les scientifiques de la balistique font les prélèvements nécessaires à l’enquête, le témoin influenceur tweete tout ce qu’il peut. Cisife le fait embarquer au quai des Orfèvres pour interrogatoire. Il trouve la carte d’identité de la victime au fond d’une bouche d’égout, une certaine Justine d’Abraxas, mathématicienne au CNRS. Celle-ci a un mystérieux tatouage de coquille d’escargot tatoué derrière l’oreille. Cisife se rend ensuite à pied – toujours à travers les manifestations – dans un immeuble de Neuilly pour prévenir le mari de la victime, un certain Faustinien Galton, PDG d’une importante société pharmaceutique. Malgré sa froideur, celui-ci semble tout de même un minimum éploré : il n’a clairement pas le profil du tueur. Il oriente Cisife vers de présumés coupables : les activistes qui le menacent depuis des mois en raison des activités polluantes de sa firme.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quel objet insolite que ce bouquin, tant en raison de sa narration étonnante que pour son découpage original ! La première page nous interpelle en prévenant qu’il ne faut lire que les demi-pages supérieures jusqu’au bout… avant de retourner le bouquin et de lire dans l’autre sens les autres demi-pages, pour revenir boucler au début. Les 168 pages au format A4 portrait sont donc en fait 336 pages en A5 paysage, qui se reflètent par moment l’une l’autre, ou se font écho dans le découpage global. Dans cette même logique, le bouquin a deux couvertures, presque identiques, qui invitent donc à commencer la lecture d’un côté ou de l’autre. Il y a néanmoins un bon sens de début à trouver. Bonne chance, étant donné que le logo de l’éditeur KI des deux côtés de la tranche (du dos) ne l'indique pas non plus. On découvre alors une enquête de police régulièrement ponctuée de scènes d’action, avec des personnages… zoomorphiques ultra réalistes, façon Blacksad (des corps et des tenues humains, mais des têtes d’animaux) ! Bien qu’on sente le recopiage minutieux depuis photos pour ce bestiaire bigarré (il y a vraiment beaucoup d’espèces animales différentes), ce parti-pris a demandé un boulot phénoménal à l’auteur : 10 ans ! D’autant que les décors ne sont jamais négligés. Ils sont généralement aboutis et précis, quels que soient le contexte et son époque. L’encrage très fin en noir et blanc, réalisé entièrement au stylo bic, nous donne alors à suivre une longue enquête parisienne, très linéaire et ponctuée de scènes d’action rocambolesques. Un policier loup la débute dans un sens, puis un policier jaguar la poursuit dans l’autre, mais le climat social est continuellement délétère. Or une autre originalité vient de la temporalité évolutive des investigations musclées menées par les deux policiers : ça commence à notre époque, pour se terminer en fin d’album, et sur un laps de quelques heures, sous la révolution française ! Puis très logiquement, quand on reprend la lecture dans l’autre sens, on fait le voyage temporel inverse. En « tâche de fond », se déroulent successivement et sans transition les autres révoltes intermédiaires (mai 68, les guerres mondiales, les communards, la révolution de juillet…). Or on ne relie pas trop la logique de cette temporalité glissante, pas plus que la raison du permanent contexte révolutionnaire, tous les deux un peu gratuits, à la résolution et au propos final de l’enquête. Au final, ce polar zoomorphique ravira tout de même les amateurs de BD pour son originalité séquentielle inédite et l’extrême minutie de son dessin.