L'histoire :
Un homme procrastine chez lui, dans son appartement. Il pourrait faire plein de trucs (mater un film, lire, cuisiner, prendre un bain…), mais non. Il préfère glander. Glander tellement puissamment sur sa chaise, au point ultime de s’en laisser glisser par terre. Des fois, un chat passe et s’arrête devant sa fenêtre. Et l’homme le regarde. Et le chat regarde l’homme. Et ça dure des heures. Bien des jours plus tard, alors qu’il s’ennuie ferme, il aimerait bien que le chat repasse, pour pouvoir passer son temps à ne rien faire d’autre que le regarder. Clairement, cet homme se pose des questions existentielles e cherche un sens à la vie, au gré du temps qui passe, inexorablement. Parfois, il a l’impression que le rideau bouge. Alors il image qu’il se passe quelque chose de surnaturel, que la logique du monde est remise en question ici, là, chez lui. Et puis soudain, il se décide à sortir. Mais il regrette très vite. Il trouve les gens du dehors laids et inintéressants. Ou alors il se fait des idées lorsqu’il croise une jolie fille… Alors il rentre chez lui, pour se glisser dans un bain chaud… qui devient froid… au fil du temps. Afin de se créer une compagnie, il colle un poster géant de nounours en peluche sur des ballons de baudruche, qui bougent en voguant dans l’appartement…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ça commence par un mec qui s’emmerde chez lui. Il s’emmerde royalement, magnifiquement, au point de ne plus trouver sens à la vie. Et puis une nouvelle voisine s’installe et il est aussitôt tourneboulé, intimidé, transi. Une relation de voisinage amicale s’installe entre eux. Elle est tantôt épistolaire, avec une emphase réciproque assez délirante et donc amusante. Tantôt en présentiel… et là, L’homme (systématiquement) « gêné » déroule toute sa puissance pathétique. En somme, dans cet épais ouvrage (288 pages !) à un insolite format paysage, voici l’histoire à la première personne d’une timidité maladive, excessive, grotesque. Matthieu Chiara s’interroge clairement et avec autant d’originalité que d’humour sur ce qui fait le potentiel de séduction, le regard d’autrui, la transmission de soi à celui ou celle avec qui on s’interroge sur le partage de vie. Il relate des non-manœuvres de non-approche et la capacité à subir le tourment de l’attraction à l’autre, avec parfois des allers-retours en flashback avec ses souvenirs infantiles (il parait que c’est là que tout se détermine). Sa méthode graphique et séquentielle est étonnante : les principales séquences en intérieur se bornent à respecter un unique point de vue de plongée en diagonale, strictement le même, quelle que soit la pièce, comme si nous suivions une télé réalité depuis une caméra placée dans l’angle du plafond. Et à quelques « intériorisations » près, les séquences en extérieur gardent aussi un point de vue unique et distant, redessiné à chaque fois avec les personnages vus de loin, qui discutent et échangent des propos contrits, embarrassées, des tautologies, des pensées complexées, et se livrent à des non-actes inhibés. Le dessin en noir et blanc est loin d’être exceptionnel… mais cet angle lointain et besogné avec une régularité stakhanoviste est astucieux et participe pleinement au propos.