L'histoire :
L'histoire se passe à Londres, en 1951. Cinq agents doubles au service de l'URSS œuvrent dans le secret le plus total, au cœur des services secrets britanniques : Kim Philby, Guy Burgess, Anthony Blunt, Donald McLean et John Cairncross. Les quatre premiers sont homosexuels et tous appartiennent à l'aristocratie. Ironie de l'histoire, ils croient dur comme fer à la possibilité d'une société communiste et aux bienfaits d'une dictature du prolétariat. Sans oublier le soviétique de service, Youri Modine, espion russe et agent traitant des « Cinq de Cambridge ». Il aime d'ailleurs bien surveiller et triturer la moustache. Pourquoi ? Une vague histoire d'espionnage et de sexe libérateur avant que le monde ne se désintègre...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec son titre magnifique et sa jolie maquette fleurant bon une (fausse) nostalgie communiste, Lutte des corps et chute des classes nourrissait de belles promesses, en partie comblées. Partant de faits historiques réels pour les détourner aussitôt, Thomas Gosselin et François Henninger plongent dans la Guerre froide des espions. Si le point de départ paraît tout à fait classique – des agents doubles travaillant pour l'avènement de l'idéal communiste au cœur de la Grande-Bretagne – le traitement narratif et graphique prend en revanche le parfait contre-pied, dans une veine tantôt philosophique, tantôt foutraque, mais toujours volontairement grotesque. Qu'importe la vérité historique, rapidement évacuée ici. Le pitch est bien le prétexte à un feuilleton transformé en farce débridée et à un exercice de style enlevé totalement décomplexé : les agents britanniques, tous homosexuels et aristocrates, croient dur comme fer à l'idéal communiste et à l'efficacité d'une dictature du prolétariat... avant que le monde ne sombre dans l'orgie universelle, seule issue possible d'un monde en phase de désintégration. Entre-temps, espions et agents secrets auront eu le temps de digresser sur le prolétariat et ses propriétés organiques ou théoriques et de s'accoupler en toute liberté. Sorte de canular historique et caustique, le récit déconstruit et renverse les valeurs d'un monde veule, sournois, lâche et hypocrite. On assiste donc bien à une lutte physique entre le dessin et les limitations de la page, puis à une chute symbolique, celle de la modernité balayée par la fin de l'Histoire. Graphiquement, le trait moqueur séduit ou irrite, alternant hachures surchargées et ellipses apaisantes, gaufrier classique et pleines-pages grossissantes. Seul leitmotiv donc : l'invention. Pour peu que l'on soit sensible à l'originalité (même si l'ensemble finit par tourner un peu à vide à force d'insister), Lutte des corps et chute des classes réussit son coup de belle manière.