L'histoire :
Qui pourrait raisonner le couple des Mort ? Pas madame Ours, en tout cas, qui est trop rustre pour donner des conseils. Pas non plus un bouddha qui n’entend rien aux affaires humaines. Le vrai problème, c’est que la famille n’arrive pas à avoir d’enfants. Le fils vient de rater sa faculté de polonais. La femme de ménage Rayuela veut une augmentation qu’elle n’obtiendra pas (et surtout pas en ce moment !). Le jardinier Tadeusz est solidaire avec la dame de ménage (même s’il gagne beaucoup plus qu’elle) et lui parle de communisme et d’engagement. Monsieur Mort veut reconstruire la maison et convoque une architecte. Malheureusement, elle est paniquée, trop jeune encore pour faire de tels travaux, et tente de séduire monsieur Mort pour échapper à cette épreuve. Dans le même temps, madame Mort prend la voiture et a un accident. Elle fait le constat avec l’autre individu, un noble aux bonnes manières : monsieur Von Horne. Pendant ce temps, Rayuela empoisonne le vin pour se venger du couple qui la persécute et qui n’a aucune considération pour elle. Affaibli par ces évènements et las des disputes interminables, le couple Mort est au bord de l’implosion…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le couple Mort est un OVNI de chez l'Association (comme souvent). Joakim Pirinen, auteur suédois, renverse ici tous les codes narratifs et graphiques pour offrir une prestation étonnante et dérangeante. Le fil conducteur de ces saynètes reste le couple masqué qui se dispute continuellement de façon excessive et violente. A l’image de nos comportements humains, le couple est ridicule de bêtise et d’immobilisme. Les masques et leurs tenues étranges ne sont là que pour souligner que ce couple n’est pas si éloigné de nous... il pourrait être n’importe qui, finalement. Les autres morceaux de l’album sont autant de réflexions sidérantes et souvent très noires. On a ainsi des récits délirants avec les anagrammes du nom de l’auteur, qui forment d’autres personnes, connues ou non ; un poème sur la traite des noirs et les tortures des Indiens ; une histoire de drame familial raconté en cubes géométriques ; une longue page de texte pour aborder le concept de suicide ou encore une parodie de Pulp Fiction avec des personnages en forme de cornichons. Tout ce qui passe par la tête de Joakim Pirinen semble avoir été jeté sur le papier avec une force brute, presque déstabilisante. Il faut dire que l’auteur ne ménage pas ses effets et désarçonne sur chacune de ses histoires. Certaines pages sont des jeux de société pour comprendre le fonctionnement du fameux couple Mort, tandis que d’autres sont des récits complètement alambiqués. L’auteur amène son lecteur dans les tréfonds de sa pensée et de sa conscience. Il n’hésite d’ailleurs pas à se mettre en scène lui-même, sans artifices ni faux-semblants. La vision du monde et de notre société est profondément désespérée et le décalage des histoires et du graphisme est une façon habile de dynamiter nos travers. Le couple Mort est à l’image de cette caricature de nos mœurs, où l’amour est plus souvent vecteur de haine et de bêtise que de positivité. Pirinen va d’ailleurs jusqu’à représenter un couple de squelettes (le couple Mort ?) qui s’interroge sur leurs amours passés et décomposés. Les trouvailles visuelles et les commentaires acerbes apportent un décalage rare et extrêmement novateur. Si on désespère devant autant de noirceur, on prend plaisir à chaque nouveauté incroyable imaginée par Pirinen. Certains passages sont parfois trop obscurs ou inférieurs à d’autres, mais l’auteur a toujours le mérite de se mettre en danger avec un ton unique. L’amour est mort, c’est vrai, mais visiblement pas l’art…
