L'histoire :
Bien loin des faits divers voyeurs ou racoleurs, bienvenue au cœur d’un royaume désenchanté, où la Lune est une orgie géante, et dans lequel les voitures, les tabourets et les cercueils, mus par une âme, se substituent aux fées… Sous la forme de brèves, d’articles, de jeux, de faits divers et de rubriques, voici les tribulations d’hommes et de femmes dans un au-delà métaphysique. Dans ce royaume, une frontière sépare les riches et les pauvres. Saurez-vous retrouver le psychopathe déguisé en cupidon, au cœur d’un palais grouillant de centaines d’individus ? Un homme sourd est assis sur un banc, entouré de dizaines de pigeons. Ces derniers complotent en secret. Ils attaqueront l’homme lorsqu’il se lèvera. Rongé par la honte après s’être fait agressé, Christian le sourd finira par se suicider. De nombreuses personnes, avant de mourir, ressentiraient des sensations communes (l’EMI : expérience de mort imminente). Pour approfondir l’analyse, deux scientifiques se livrent à des expériences au musée de la police de Paris, à l’aide d’une guillotine. On vient de l’apprendre, un couple de touristes a enfreint les règles de la nature lors d’un safari, en voulant sauver un zèbre pris dans les griffes d’un léopard. Résultat : la voiture roulant trop vite, les deux animaux ont été tués sur le coup, ainsi que le conducteur, la tête fracassée contre le volant. La veuve éplorée a décidé de rapatrier le corps et les carcasses, et d’élever un mausolée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’image de Welcome to the death club de Winschluss (Cornélius), Ruppert et Mulot préfèrent rire de la mort avec leur nouvel ovni, le Royaume. Impossible à lire dans le métro, préférez la position debout, face à une table. Présenté sous la forme d’un journal interactif au format improbable (environ 40x60 cm une fois déplié), le Royaume est à la fois une expérimentation formelle déroutante, et une méditation quasi mystique sur la mort, l’au-delà et l’inconscient. Projet franchement loufoque où l’illusion le dispute au comique, ce journal en noir et blanc se lit comme un quotidien, l’humour en plus. Symphonie en mode désabusé ou animiste, Le Royaume fascine par son imaginaire sans limite, propre à renverser toutes les valeurs judéo-chrétiennes. Ce qui séduit aussi, c’est bien le côté débrouille, artisanal et faussement naïf de ce journal, à l’esprit très punk. On peut d’ailleurs s’exercer à la pratique du pliage, et jouer à « Où est Charlie ? »… Déjanté ou cocasse, ludique ou cynique, le Royaume est tout à la fois cohérent avec lui-même par ses jeux de renvois entre les cases, et farfelu dans sa construction narrative. A travers l’absurde, les auteurs questionnent le réel dans ce qu’il a de plus illusoire et de plus grotesque, pour en exhumer le tableau d’un monde en proie à la pulsion de mort. Alors, point de paradis, d’enfer, ni même de purgatoire pour Ruppert et Mulot, mais plutôt un ailleurs ineffable où le dauphin, symbole de régénérescence, est un roi moqueur. D’un journal, vous pouvez faire un cône à frites les soirs de match à Bollaërt. Celui de Ruppert et Mulot, un objet à contempler, qu’on manipule avec délicatesse et dont on aime renifler l’encre. Question de priorité. Pour les amateurs de BD alternative, cet objet inclassable (un livre ? un journal ? un fanzine ? une BD ? un mode d’emploi ?) s’avère une véritable pépite DIY. A réserver aux fans du duo Ruppert/Mulot, aux collectionneurs, mais aussi à tout lecteur que l’approche intellectuelle de la BD ne rebute pas. Puzzle polymorphe, cet ovni formel sera difficile à ranger dans votre bédéthèque. Doublement recommandé, donc.