L'histoire :
Point d’histoire dans cet album-là, mais un ensemble de 44 planches indépendantes les unes des autres, qui inventent des petits moments de poésie tirés d’une vie quotidienne. La première, exemple comme un autre, imagine que les paysages observés dans un train seraient deux films différents qui défileraient, à gauche et à droite, de manière autonome. Alors tout est possible : « Tandis que le temps se gâte à tribord… l’autre bordée bénéficie de la grâce d’un microclimat. » La dernière case ouvre sur un mystère insoluble : « Le train arrive en gare. De quel côté se fera la descente ? » L’absurde se poursuit sur la planche suivante qui explore les conséquences sociales de la présence inexpliquée d’un dirigeable dans les airs de la ville… 44 « notes » donc, faites d’inventions insolites qui transforment notre réel en un monde délicieusement incongru.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Premier album de François Ayroles après ses exercices graphiques de Jean qui rit et Jean qui pleure (1995), les Notes Mésopotamiennes, à l’origine constituées de trente pages parues dans la collection Mimolette de l’Association, ont été augmentées onze ans plus tard de quatorze planches et sont désormais éditées par la Ciboulette. L’auteur oubapien se livre bien peu ici à ses jeux formels habituels et n’observe pour seule contrainte qu’un système de six cases (2x3) par planche. Ces 44 notes sont une succession d’observations imaginaires dans une France qu’on ne peut ni réellement dater ni trop situer : les lieux sont divers, volontairement anonymes, et n’ont clairement rien à voir avec la Mésopotamie… ! La référence à cette région historique qui a inventé l’écriture n’est-elle pas davantage à chercher dans les origines du médium même ? Les pages – (presque) entièrement muettes, formées de vignettes au dessin très classique en noir et blanc, chacune d’entre elles associées à un texte au lettrage gothicisant – n’évoquent-elle pas les toutes premières œuvres de l’art dessiné ? On trouve d’ailleurs disséminées de-ci-de-là des références plus ou moins explicites à l’histoire de la littérature (Verne, Pérec, Butor…) et de la bande dessinée (Vaughn-James, (A suivre)…). Bref, Ayroles brouille l’espace-temps. En demeure le plaisir simple de ces petits poèmes graphiques qui explorent avec une géniale inventivité les fantaisies de la vie : ce clochard qui collectionne les clés perdues, ce mur de toilettes d’un musée d’art moderne qui superpose graffiti de citations intellectuelles et insultes de groupe scolaire, et cette table d’orientation de l’Himalaya posée sur un balcon donnant sur une chaîne d’immeubles. C’est dans les associations insolites, les rencontres impromptues, les contradictions, que se trouve la beauté de cette poésie, qui n’est pas sans évoquer les effets de masse, les inégalités sociales et les absurdités humaines. Un bonheur de densité, tout en sobriété.