L'histoire :
Artiste reconnu, le loup Killoffer sort régulièrement de sa tanière pour assurer son rôle d’homme public. Vernissage à la galerie parisienne Anne Barrault, soirée mondaine ou travail en atelier, il tente de tenir la pose, à coups de discours grandiloquents, d’excentricités volubiles, et de rasades de J&B. Mais l’illusion est mère de déceptions et, lorsque les rideaux se referment, la gueule est de bois. Les fantasmes tirent alors leur révérence et la réalité grince : Killoffer est le baveux, l’homme en panne, le triste sire. Un personnage toxique, pour lui comme son entourage, évoluant dans un monde éthylique et enfumé, fait de détestation et de culpabilité.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Qui veut entrer dans la peau de Patrice Killoffer ? Treize ans après le génialissime 676 apparitions, ce Tel qu’en lui-même, enfin pourrait en être le deuxième tome, celui d’une autobiographie d’un homme de l’autodestruction. L’auteur en renouvelle d’ailleurs le grand format, comme pour accompagner la grandiosité de son acte. Mais au phénomène de prolifération délirant du premier opus, l’auteur répond ici par le recentrement. Le titre l’atteste : c’est le Killoffer intime et unifié qui possède le premier rôle, en observation éclairée de soi. « Enfin » : soulagement personnel, lié à l’aboutissement d’un processus salvateur, ou narcissisme indéfectible de celui qui se pense attendu ? Les voix de Killoffer sont impénétrables. Guidé par l’anaphore « Killoffer en… » qui initie ses planches, le gaufrier à huit cases qui les structurent, et la commande régulière du magazine Le Tigre au sein duquel elles furent initialement publiées, le dessinateur oubapien (Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle) décline les zones d’ombre de sa personnalité. Mais comme pour, malgré tout, se libérer du cadre de ces récits de vie, il les installe en regard de grandes – et magnifiques – illustrations, sublimant l’équilibre complexe entre fragilité et monstruosité de son personnage. Un « connard » inaugural annonce le jugement sans appel : Killoffer se représente au pire de lui-même, avec la distance subtile de l’autodérision. Killoffer boit, Killoffer fume, Killoffer pionce, Killoffer insupporte, Killoffer se foire. De page en page, le systématisme de sa pathologie s’enracine… jusqu’à saturation. La sienne certainement (n’est-ce pas le début de la guérison ?), la nôtre sûrement. Car contrairement au reste de son oeuvre, qui s’est toujours appliqué à nourrir et renouveler cette esthétique de la saturation (graphique, verbale….) qui lui est propre, ce Tel qu’en lui-même a une sérieuse tendance à ronronner. Légère déception donc, pour ce livre tant attendu.