L'histoire :
Nicolas Wild s’est spécialisé dans les carnets de voyages dessinés dans lesquels il se met lui-même en scène. En mars 2022, il est en Inde, de retour à New Delhi après avoir participé à une conférence à Calcutta. Lors d’un pique-nique avec des amis indiens, il se retrouve engagé pour une nouvelle mission. On lui propose en effet de se rendre en Russie pour y faire des croquis de gens qui acceptent de témoigner de leur sentiment au sujet de l’« opération spéciale » qui vient de débuter en territoire ukrainien. Dont acte : le 30 juin 2022, Nicolas atterrit à Saint-Pétersbourg, après un transit de 8h à Dubaï. Cette étape se révèle un biais acceptable pour qu’un artiste français puisse entrer en Russie sans éveiller de soupçon particulier. En raison de sa nationalité occidentale, Nicolas flippe… mais tout se passe bien. La première soirée, il se balade librement dans l’ancienne capitale des Tsars, tel un touriste de base, étonné que la vie sociale et culturelle ne souffre pas de la guerre en cours. Le lendemain, il fait la connaissance à son hôtel de sa fixeuse, avec laquelle il va passer les 15 prochains jours. Pour sa sécurité, il lui donnera un visage de chat. Chat lui présente une liste éclectique de personnes à interviewer, de tous bords. Cela commence par une rencontre avec Boris Vishnevsky, député d’opposition à la Douma, responsable du parti libéral Yabloko…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Contrairement à ce que laisse penser son patronyme traduit en français, Nicolas Wild n’est pas du tout sauvage. C’est même tout le contraire : globe-trotteur né, il a une faculté naturelle à aller vers les autres, voire en « reportage » en terrain miné, et plutôt du côté oriental (Afghanistan, Inde, Iran…). En outre, son indéfectible calme, son ouverture d’esprit et sa candeur ostensible lui permettent souvent de poser des questions sans tabou, frontalement, en feignant à peine l’innocent. On le retrouve ici en Russie dans cet exercice de reportage libre, en immersion, dans lequel il excelle, 4 mois après l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine. Pardon… après « l’Opération spéciale » militaire engagée par Vladimir Poutine sur les territoires russophones qu’il considère comme appartenant à la « Grande » Russie. Nicolas Wild réitère son dessin semi-réaliste en noir et blanc très agréable, régulièrement focalisé sur les simples visages qui discutent, parfois mélangé à des photos in situ, comme pour prouver la réalité du reportage. Dans un format extra horizontal, façon carnet de chèque très épais, il se met en scène en train de recueillir les témoignages de russes divers(es), issu(e)s de différents milieux : des gens d’opposition, mais aussi des nationalistes. On rencontre ainsi (liste non exhaustive) : un député d’opposition, une veuve de militaire, une artiste activiste pro-paix, une féministe, une chanteuse patriote, un rockeur interdit, une communauté bashkir, des indiens, un avocat défenseur des droits de l’homme… Comme l’explicite fort bien le titre, l’objectif central est de faire une synthèse (impossible) de la mentalité qui règne chez les russes, en cette période de troubles géopolitiques sévères. On ressort surtout de là un peu plus instruit sur la grande diversité de l’âme russe, sur les lectures du monde différenciées de part et d’autre de l’Oural.