L'histoire :
Vienne, début du XXème siècle. La capitale autrichienne est alors à son apogée. La vie culturelle y est d'une grande richesse, de nouveaux courants artistiques et littéraires y voient le jour. Elle est aussi le berceau d'une nouvelle discipline scientifique qui va révolutionner mondialement le domaine de la psychologie. Sigmund Freud s'appuie sur son travail de clinicien et son autoanalyse pour élaborer une théorie de l'inconscient et une nouvelle méthode thérapeutique : la psychanalyse. Il aide ses patients à accomplir une quête sur leur propre vérité et bientôt, les séances qu'il programme deviendront aussi célèbres que le divan sur lequel sa patientèle s'allonge. Le père de la psychanalyse est un fumeur invétéré de cigares cubains. Parfois, il en fume plus de 20 par jour. La nicotine le stimule et l'aide à garder la concentration extrême dont il a besoin pour écouter et conduire les entretiens. En tant que médecin, il n'ignore rien des méfaits du tabac. En tant que psychanalyste, il considère que fumer est un substitut à la masturbation, mais se garde bien d'appliquer cette considération à sa propre addiction. Il a 67 ans quand une grosseur dans la bouche, liée à sa tabagie, s'avère être cancéreuse...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Suzanne Leclair est médecin psychiatre affiliée à l'Université de Montréal et elle a aussi fait les beaux arts. La peinture est son activité artistique récurrente et cette BD en est imprégnée, avec un Noir et Blanc qui évoque la rigueur de la personnalité de l'inventeur de la psychanalyse. La pochette de l'album dit tout, au passage, du visuel choisi par l'artiste : un réalisme à travers lequel lavis et effets d'ombres et de lumière donnent une impression « charbonneuse ». Pas de place pour l’esbroufe, ce qui renforce aussi le sentiment d'authenticité qui se dégage du récit. L'autrice est épaulée par William Roy pour des éléments du scénario, qui a également mis au point le storyboard. Mais ce qui rend ce livre assez spécial, c'est que Suzanne Leclair a choisi de mettre à distance l'invention de la psychanalyse, même si elle est évoquée immanquablement, pour livrer un portrait du mari et du père qu'a été Feud, en tout cas à partir du moment où son cancer de la bouche s'est déclaré. Et si le portrait est beau, il est aussi sans concession avec l'addiction du Docteur au cigare cubain. Même malade, il ne voulut jamais renoncer à ce plaisir. On n'est donc pas ici en présence d'un ouvrage destiné à décortiquer ou même vulgariser la psychanalyse. Il s'agit bien d'un portrait, qui s'avère très touchant, voire bouleversant, de l'homme. Onze années de lutte contre la maladie, quatorze interventions chirurgicales dont bon nombre d’ablations qui lui valurent leur lot de prothèses métalliques et la souffrance comme compagne inséparable. L'homme force le respect par sa dignité et son courage. Voilà un très beau livre sous forme d'hommage, qui revient sur une période de la vie de Freud dont on parle peu.