L'histoire :
Bienvenue en prison. Guy a braqué une banque. Il a fait six mois et il est parti pour purger huit ans de plus. Ça va faire long. Ici, on dit qu'une année compte double et on est peut-être loin du compte... Il partage sa cellule de 10 m² avec deux codétenus. Vic, le plus jeune, ne sort plus depuis une dizaine de jours. Il s'est fait fracasser lors de la promenade. Une histoire de drogue. Parce que ça circule au sein des murs. On peut se procurer à peu près tout ce qu'on veut en matière de stups. Hassan, quant à lui, est malade. Il tousse en permanence depuis plusieurs jours. Hier, il a demandé la visite d'un infirmier, mais il attend toujours. Les trois s'entendent à peu près bien, ce qui est plutôt rare. Le mois dernier, un prisonnier a étranglé son codétenu parce qu'il toussait depuis cinq jours et qu'il ne pouvait pas dormir. Il faut dire qu'avant d'être incarcéré, il avait fait plusieurs séjours en psychiatrie. Il y en a un qui n'aura jamais plus besoin de soins ; et l'autre qui s'est en quelque sorte fait enterrer pour perpette dans une prison réservée aux détenus dangereux... Hassan n'en sortira pas non plus vivant, sa pneumopathie l'a emporté. Et quand Vic a compris qu'il ne respirait plus, il a fallu qu'il gueule plus d'une heure avant qu'un surveillant ne se pointe. Ça se passe comme ça, dans nos prisons...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On a tous entendu ce petit refrain : « la prison, c'est le Club Med' ». Certains vous diront même que ces mots sortent de la bouche de taulards, ou qui l'ont été. On rétorquera à ceux qui parlent sans savoir qu'ils n'ont qu'à se réserver un petit séjour à l'ombre, pour voir si la destination est à leur goût. Et pour ceux qui ont parlé en connaissance de cause, on peut aussi penser qu'ils ont eu peut-être eu « la chance » d'être enfermés dans un établissement relativement récent, ou bien qu'il s'agissait pour eux de refouler une expérience forcément douloureuse en s’exprimant de la sorte. Quoi qu'il en soit, Fabrice Rinaudo et Anne Royant mettent la lumière sur une vraie zone d'ombre de notre démocratie. Ils soulèvent le tapis sous lequel personne ne veut voir à quel point la République néglige les citoyens qu'elle a condamnés. Car en prison, la violence est partout et sa sœur jumelle, l'indignité, vient frapper chaque individu. Un des points forts du propos est qu'il concerne aussi les professionnels de l'administration pénitentiaire, les surveillants, qu'on nomme péjorativement les matons. Pauline Pawlotsky et Sabrina Delattre, co-responsables du groupe de travail Prison au sein de la Ligue des Droits de l'Homme, signent par ailleurs une postface qui fait écho à la BD. On comprend mieux, si tant est qu'on ne voulait pas comprendre, pourquoi la France a été condamnée maintes fois par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour des conditions de détention indignes. Surpopulation, insalubrité, absence de soins, meurtres et suicides... Entre un quart et un tiers de prisonniers présentent des troubles psychiatriques. Le tableau est sombre, mais tristement et scandaleusement réel. Sylvain Dorange, quant à lui, trouve une nouvelle fois le bon graphisme pour mettre en images quatre destins, quatre vies durant lesquelles les protagonistes ont commis des actes condamnables, mais qui ont été complètement brisés par l'incarcération. Son dessin passe parfois par des métaphores, pour ne pas alourdir le propos. On pense notamment au symbole de l'ogresse qu'est la prison. Elle bouffe tout ce qui touche à l'Humanité. Car une conclusion s'impose au lecteur : la prison fait tout sauf réinsérer. Et elle ne se contente pas de sanctionner. En réalité, elle brise, détruit les liens sociaux, devient facteur pathogène et déshumanise. Encore une très belle publication proposée par La Boîte à Bulles.