L'histoire :
Evans est un homme rond à la bonhomie communicative. Il habite une vieille bicoque dans une campagne isolée, à l'écart des villes. Là-bas, il mène une vie de vieux garçon célibataire, empêtré dans la solitude et l'ennui. Pour seul animal de compagnie, un petit oiseau innocent prêt à siffloter. Mais ça, c'était avant qu'il ne meure. Déprimé et sans ressort, Evan Evans enfile les bières à écouter des vieux 78 tours sur son électrophone. Le temps file et la dépression fait son nid. Mais, comme par enchantement, lorsque son ami l'oiseau vient à renaître, la vie repart comme au premier jour. Cependant le destin est farceur : c'est alors que se pointe Ivan, un vieux pote arriviste et sans cœur, doublé d'un frimeur égoïste. Les ennuis reprennent, comme un fatalisme incurable...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour son premier album solo au charme désuet, Laurent Kling a fait le pari du récit court, aux frontières du cinéma burlesque façon Buster Keaton. L'émotion est bien le sujet de ses dessins, exprimée par des acteurs à l'art gestuel consommé, manière de singer le réel pour mieux l'apprivoiser. Et peut-être en révéler toute la cruauté latente. Car notre anti-héros, Evan Evans, est débonnaire jusqu'à la lie, incapable de réagir face à la méchanceté la plus crasse de l'odieux Ivan. Doté d'un joli sens de la théâtralité et de la caricature, Kling se fait acrobate de l'humour noir, en équilibre instable sur un fil mince. Au fil des pages, justement, on s'habitue à cet humour absurde presque surréaliste, échappé d'un petit théâtre de papier aux allures de ballet visuel où l'art du rebond sans transition donne la réplique au gag-éclair imprévisible porté par l'urgence du rythme. L'influence du slapstick parait évidente ici, soit un humour faisant la part belle à une violence physique exagérée. De lamentation, il n'est guère question pour notre héros impénitent. De masochisme rédempteur ou invétéré, bien sûr, pour notre plus grand plaisir. Laurent Kling réussit donc à faire surgir de quelques pages minimalistes une histoire épurée mais diablement efficace, où il couche sur papier la cruauté humaine et physique dans sa plus grande banalité, avec l'air détaché des gens à qui on ne la fait pas. C'est à la fois drôle pour nous et terrible pour Evan. Alors, plutôt que de tenter de se raccrocher à des branches qui, de toute façon, n'existent pas, mieux vaut échapper au sombre quotidien d'une faune féroce pour aller tutoyer le ciel plus léger des étoiles et filer le plus vite possible...