L'histoire :
Retraité dans une banlieue pavillonnaire de Bungalopolis, Jérôme Bigras est tranquillement installé dans son canapé en train de regarder la télé, en compagnie de sa tondeuse à gazon Rex, lorsque soudain SCRAPE ! Un trou parfaitement circulaire transperce l’écran de TV (et la BD !), pour laisser apparaître un super héros casqué. Le super héros se rétame la figure à l’atterrissage, plus victime que responsable de ce trou spatio-temporel. Il s’excuse, devant l’ire de Jérôme Bigras qui a une télé toute abimée. Il propose de s’en retourner par où il est venu. Or dans le même temps, dans un QG militaire, un colonel et ses hommes sont en alerte. Une secousse vient de se produire au cœur de l’album, un cratère de plusieurs centimètres est béant ! Une escouade spéciale est aussitôt envoyée, qui débarque à la page suivante chez Jérôme Bigras. Hélas, ils ne sont pas prévenus qu’il y a un trou en milieu de page. Or le capitaine se trouve précisément au centre de la narration… il se retrouve alors transpercé par le trou en plein milieu de son corps. Ses hommes l’évacuent mourant et sanguinolent, non sans balancer une grenade par le trou avant de partir. Cette grenade ressort logiquement par la page suivante et explose néanmoins dans le salon de Jérôme Bigras que le lecteur n’a pas quitté…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le fond du trou est un album-concept réalisé par le québécois Jean-Paul Eid, initialement publié en 2011 et aujourd’hui réédité par la Pastèque. « Concept », tout le monde s’en doute, étant donné qu’il y a un trou parfaitement circulaire de 3cm de diamètre en plein milieu de l’album… donc de chacune de ses 46 pages. Ce trou va faire l’objet, à chaque planche, d’une utilisation différente. Il peut servir d’élément de décor (miroir, tunnel, ouverture de machine à laver…), mais il sert surtout de passage pour les personnages ou les objets. Le concept consiste alors à brosser une histoire qui tient la route sur la raison d’être de ce trou. Il a l’avantage d’être aussi paranormal que métaphysique, comme les trous noirs, donc il permet toutes les extravagances. Il permet aussi beaucoup de jouer sur la temporalité de la lecture : on peut passer par le trou de n’importe quel page à n’importe quelle page, au point de créer des évènements qu’on ne comprendra que plus tard, d’entremêler les séquences, à la manière d’Imbattable de Pascal Jousselin (chez Dupuis). Or c’est là que le bât blesse : l’histoire est tout simplement incompréhensible. Difficile de savoir ce que ça raconte, tellement c’est un bazar peu inspiré, qui part dans tous les sens. Le registre est humoristique et parodique (tendance plomberie domestique), mais on ne rit jamais. Tantôt, des expressions typiquement québécoises échapperont aux lecteurs d’Europe francophone. Tantôt Eid fait des clins d’œil à d’autres œuvres (Tintin et le temple du soleil surtout). Tantôt, des mises en abymes de l’album dans l’album offre l’opportunité de se perdre encore un peu plus dans ce joyeux bordel de genres.