L'histoire :
Pour les besoins de son enquête, un journaliste arrive en voiture à Bure… au milieu des cars de CRS. Que se passe-t-il dans cette paisible bourgade de la Meuse, département non moins tranquille d’ordinaire ? En fait, c’est ici que la filière nucléaire construit l’un des plus grands sites industriels d’Europe répondant au nom de « Cigéo », pour Centre Industriel de stockage GÉOlogique. Son ambition : enfouir à 500 mètres sous terre 85 000 mètres cubes de « déchets ultimes », les plus dangereux produits par la filière nucléaire. Ces déchets représentent 3% du volume total de ce qui est produit en France, mais 99,8% de leur radioactivité. Les 270 kilomètres de galeries taillées dans la roche argileuse doivent être mis en service en 2035, mais le chantier complet est prévu pour durer 130 ans ! Ce qui n’est rien comparée à la durée de la radioactivité qu’émettent ces déchets : plus de cent mille ans… Le coût du projet Cigéo estimé par l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs (ANDRA) se situe entre 25 et 35 milliards d’euros. Des habitants et des activistes se battent contre les décisions politiques pour éviter que leur région ne devienne une poubelle pour les 100 000 prochaines années…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans les années 50, la France a fait le choix de l’électricité nucléaire. Aujourd’hui, malgré le lent virage contraint et nécessaire des énergies renouvelables, 70% de notre mix énergétique provient encore de cette industrie. Le temps d’amortir et de rentabiliser nos centrales, cela va continuer a minima jusqu’à la moitié du XXIème siècle. Or tout le monde le sait bien : si ce mode énergétique préserve le pays de figurer parmi les gros pollueurs en gaz à effets de serre, il produit des déchets formidablement toxiques, sur du très long terme. Cent mille ans, c’est grosso modo le délai durant lequel l’humanité va devoir vivre avec les déchets produits aujourd’hui – quand bien même on arrêterait sur le champ la production de toutes nos centrales nucléaires. Un temps long qu’on peine à concevoir au regard de nos 2000 d’Histoire moderne. Notre inaptitude naturelle à concevoir un tel laps aurait dû suffire à tuer dans l’œuf le projet d’enfouissement de ces déchets – à Bure ou n’importe où, d’ailleurs. La transmission du savoir sur 2000 ans est trop pleine de trous et d’aléas pour qu’on soit capable, sur une durée 50 fois plus longue, de transmettre aux générations future un mode d’emploi… Sans compter que sur le plan géologique, il peut s’en passer des évènements ! Cette BD-enquête proposée par deux journalistes auto-déclarés engagés retrace toute l’histoire de la lutte des opposants au projet de Bure, dans la Meuse. La BD s’étaye sérieusement sur des documents fiables et met en scène des rapports de conversations validés, des débats politiques, des visites politicardes, des manifestations citoyennes et elle compile moult documentations en annexe. Cet impressionnant boulot de synthèse est mis en image par Cécile Guillard, qui n’a certes pas le beau rôle. Car il n’est ni possible, ni souhaitable, de faire du « beau » avec une telle matière. La dessinatrice se contente donc de redessiner les scènes évoquées, d’après documents, via un dessin stylisé secondaire et impersonnel, rehaussé au lavis – comme d’autres le font dans les tribunaux. Le grand mérite de cet album est de faire comprendre aux plus perplexes que l’enfouissement serait la connerie du siècle fois 1000. Sa limite est qu’elle dénonce sans proposer d’alternative. Car les déchets nucléaires qui existent bel et bien, on en fait quoi ? La problématique se résume en une page centrale du bouquin, dans les propos de Nicolas Hulot rapportés à trois années d’écarts, selon ses responsabilités : 2017, « Il n’y a pas de solution miracle à un problème aussi complexe » 2020 : « Personne n’a envie d’avoir ça sous les pieds ». Après avoir lu ça, éteignez la lumière et pleurez dans le noir avec nous…
