L'histoire :
Allan, d’origine libanaise, est installé depuis plusieurs années en France, où il a fondé une famille. Sa belle-famille est d’ailleurs devenue beaucoup plus que sa famille. Il s’occupe notamment de sa belle-mère Thesée, qui vit ses derniers jours à domicile en phase terminale d’un cancer, sous morphine, comme s’il s’agissait de sa propre mère. Il lui masse les pieds, il se lève la nuit, il lui prépare des petits plats relevés à l’ail… Sa femme Prune, ainsi que ses belles-sœurs, n’éprouvent pas de jalousie particulière vis-à-vis de ce comportement. Allan est sincèrement aimant et dévoué. Mais Prune aimerait tout de même qu’Allan accepte de prendre plus souvent sa sœur au téléphone. Car Allan a un comportement totalement fuyant avec sa famille restée au pays, il fait un rejet radical et suspect. La famille française est bouleversée quant au décès prochain de Thésée, ce qui génère parfois des petites tensions. Mais chacun sait être compréhensif. Un soir, Thésée demande à Allan qu’il aille chercher au Liban un marabout réputé, Hussein, qui, parait-il, fait des miracles. Allan refuse en bloc, au début. Mais Thésée insiste, comme s’il s’agissait de ses dernières volontés. Allan comprend qu’il s’agit d’un espoir, sans saisir la tendre manipulation de sa belle-mère, qui le force à renouer avec ses racines. Il prend sur lui et fait l’effort de s’en retourner dans son pays…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec ce one-shot, l’auteur d’origine libanaise Joseph Safieddine scénarise un traumatisme d’exilé largement différent de la problématique géopolitique actuelle. Le personnage central est en effet originaire d’un pays oriental – jamais nommé, mais il s’agit du Liban – dont il a fait un rejet catégorique. Son assimilation à la culture française et à sa nouvelle famille sont tels, que cela dissimule forcément un traumatisme passé dans son pays. Allan (de son vrai nom Abel) est comme cet oiseau, le coucou, qui fait son chez-soi dans le nid des autres – d’où le titre. La narration se passe en deux temps : sur les 30 premières pages, on le découvre en Franco-Belgique, très intégré et impliqué dans les soins prodigués à sa belle-mère, en phase terminale d’un cancer à domicile. Dans les 70 suivantes, son retour au pays permet de creuser l’origine du traumatisme, les raisons de ce besoin de se fondre dans une autre vie. Il est question de religion(s), de culture(s), de rejets des traditions familiales, d’un choix de vie autant imposé que réfléchi… Venant de deux auteurs vivant authentiquement l’exil au quotidien, ces questions font sens. Car le dessinateur KyungEun Park est lui aussi le plus belge des coréens (ou inversement). Son trait d’une grande justesse permet d’osciller entre le réalisme et le caricatural, en jouant avec une large palette d’expressivités (le clash dans la voiture), tout autant qu’il offre des vues panoramiques détaillées (le cimetière). La mise en scène de cette chronique sociale et familiale touchante est dans son ensemble très cinématographique, pleinement immersive. Un bel album, une belle histoire, pudique et bouleversante par ses nombreux non-dits…