L'histoire :
Au fond d’un bois sombre composé de grands arbres et d’une haute frondaison, se trouve une chaumière. Dans cette chaumière, le loup a visiblement bouffé la grand-mère du Petit Chaperon Rouge. Et ce loup vit désormais là, comme un humain, en chemise de nuit. Tantôt, il bouffe un membre humain attablé. Tantôt il se sert d’un autre membre humain pour changer de chaine sur son poste de télévision. Il a quelques cadavres à son actif, à en croire les têtes de mort dans sa baignoire. Et puis la nuit, il dort paisiblement dans le lit de la mère-grand. Par contre, quand il se regarde dans le miroir de la salle de bain, il voit le reflet d’un homme, en costume et en chapeau melon. D’ailleurs, ces derniers jours, un autre homme – est-ce un chasseur ? – vient d’apparaître à la lisière de la forêt. Il est temps d’enterrer à la cave les bouts de chair humaine qu’il lui reste. Il y a même encore une fillette entière, même pas entamée. Alors le loup pioche un trou. Une fois cela fait, il retourne dans son séjour et attend patiemment son visiteur, une bouteille et un verre d’eau à proximité…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En 2019, Serge Kliaving nous avait déjà fait le coup du roman graphique bien barré du ciboulot avec Hôtel Atlantide. L’auteur parisien nous convoque de nouveau à une expérience onirique, métaphysique, non-sensique, hermétique, mélancolique et graphique… soit pas mal de trucs en « hic ». Mais aussi existentiel, spirituel, quasi démentiel, surréalist…iciel et lugubre, qui inspire le malaise, interroge et déconcerte. Si vous l’entamez en espérant tout comprendre, vous vous fourvoyez. Préférez surtout vous mettre dans l’état d’esprit d’éprouver, interpréter et ressentir. Sur une partition visuelle réaliste, toute en pattes de mouches, en carte à gratter et en noir et blanc, cela part vraisemblablement du loup vainqueur dans le conte le Petit Chaperon Rouge. Puis le récit muet verse dans la quête initiatique qui part en sucette, avec un type en chapeau melon qui perd tour à tour ses membres, façon Philippe Croizon… Avant de convoquer l’imaginaire religieux (la crucifixion) et de finir par suivre un personnage à masque de fer et toge, dans l’éther du vide cosmique et une nef cathédralesque. Une idée de l’infini. Une évocation du désespoir. La vanité existentielle. Tout va bien, vous pouvez vous interroger, maintenant. Ou vous pendre, comme après avoir visionné un bon vieux Bergman. Ou vous sniffer un douzième rail de coke. Evitez de manger des mères-grands, ça donne guère la patate.