L'histoire :
Le vieil Abel mène une vie routinière imposée par les bêtes qu'il élève, dans sa ferme isolée à l'écart de la petite commune de Reclesme. Il n'a pas vraiment choisi de rester dans la propriété familiale, mais quand ses frères sont partis les uns après les autres, il est tout simplement resté là. Il aurait probablement rêvé d'une vie différente... Alors cette soif d'ailleurs, Abel la comble en achetant des guides de voyage. Il parcourt de chez lui tous les pays du monde, subissant la moquerie gentiment condescendante de l'épicier du village qui fait office de bureau de poste, la confidentialité en moins. La marchande ambulante qui vend la charcuterie sur la place est le portrait craché de sa mère, belle comme le jour. La boulangère d'origine vietnamienne provoque chez le vieil homme des rêveries d'ailleurs, lorsqu'elle évoque les brumes qui couvrent parfois les régions du nord de son pays d'origine. Dans le bar du village, Abel est l'objet de plaisanteries qui lui rappellent son passé de garçon timide. Mais l'homme a changé, tout entier concentré sur une vie imaginaire qu'il garde la ferme intention de réaliser un jour...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Bruno Duhamel réalise ici un projet personnel loin de son travail habituel, autour de la vie secrète et rêvée d'un vieil homme qui s'occupe de ses bêtes en rêvant de découvrir le monde. Le dessinateur est accompagné de Lisa Belvent qui construit un scénario d'une subtilité impressionnante, en totale harmonie avec la narration de l'album. Le temps donné à chaque étape des journées d'Abel est tout simplement parfaitement dosé, allant des pas lents et répétés du petit matin, aux superbes moments de contemplation muette d'une vallée embrumée. Cet homme qui rêve d'ailleurs est un concentré de tous les hommes, un personnage emblématique dont l'existence simple cache une douce folie intérieure. Le Voyage d'Abel recèle des moments d'émotion légers et inattendus, des silences qui subliment la capacité d'une page de BD à toucher le lecteur. Sur un ton souvent drôle, les auteurs ne sont jamais dans la moquerie ni la facilité. Leur personnage est incroyablement juste, derrière son visage fermé couvert d'une éternelle casquette. Edité par les Amaranthes, l'album ne peut se trouver que chez des libraires éclairés, ou sur le site de l'éditeur. Mais ne nous trompons pas, ce travail personnel tout en nuances mérite de figurer dans les mêmes bibliothèques que Les Vieux Fourneaux, ou les meilleurs récits de Jim. Très actuel dans sa réalisation, intemporel dans son propos, Le Voyage d'Abel est une petite perle inattendue.