L'histoire :
En l’an 1470, « la mère » Clauda a sa petite réputation à Vernoux (Ardèche). Avec ses potions, elle soigne les fièvres des enfants, ou elle offre la contraception « du lendemain » aux femmes imprudentes. A la fois crainte et respectée, la guérisseuse connait toutes les vertus des plantes et passe beaucoup de temps en cueillettes diverses, s’éloignant parfois beaucoup du village. Elle est aussi une excellente sage-femme. Elle apprend tout son savoir à sa petite-fille Reine, âgée de 15 ans, un joli brin de fille rousse, attentive et de bonne volonté. De fait, Reine arpente aussi beaucoup les chemins de la forêt, seule, malgré le risque que représentent les loups. Mais les temps sont rudes. L’hiver et ses rigueurs n’en finissent pas, les récoltent s’annoncent mauvaises. L’édile du village réunit le curé et les principaux notables, car il faut trouver une solution. L’un préconise une battue contre les loups, l’autre de faire appel au devin. Le curé s’en remet à la foi et à la prière. Reine, elle, tombe amoureuse d’Etienne, fils de paysan, mais érudit : le curé lui a appris à lire ! Etienne est tiraillé entre ses devoirs de fils à la ferme, un avenir monastique prometteur et son amour pour Reine. Un énième coquard distribué par son père le décidera à partir définitivement, en direction de Genève, non sans avoir fait la promesse à Reine de ne jamais l’oublier et de revenir pour elle…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Derrière sa couverture ornée d'un luxueux zonage doré, ce magnifique album en one-shot de 138 planches dépeint une époque charnière à la fois authentique, passionnante et tragique. Dans la seconde moitié du XVème siècle (le récit couvre de 1470 à 1495), la fin du moyen-âge s’accompagne en effet d’une sacrée révolution : l’imprimerie. L’invention de Gutenberg (1450) promet certes de propager la connaissance, mais elle se met en premier lieu au service de l’Eglise, pour asseoir son contrôle massif sur l’Europe. Ainsi, le premier livre imprimé est la Bible. L’un des suivants, qui nous intéresse ici, est le Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), véritable traité de démonologie qui servit de base aux inquisiteurs pour se lancer dans une abominable chasse aux sorcières. A cette époque, entre 30 000 et 60 000 « sorcières » furent ainsi brûlées vives dans l’arc alpin, sous couvert de procès souvent iniques et expéditifs. Entendez par « sorcière » toute femme qui dérange : guérisseuses, faiseuse d’anges ou juste adultères. N’importe quel problème subjectif pouvait être imputé à une femme, être traduit par l’expression du malin, et l’envoyer sur un bûcher. La scénariste Virginie Greiner prend le temps de développer la psychologie de personnages attachants, leur romance, leur séparation déchirante, leurs retrouvailles complexes, dans un contexte social-religieux des plus terribles. La vie paysanne en Ardèche, les pratiques des guérisseuses, l’avènement de l’imprimerie, le fondamentalisme catholique, la machine de mort de l’inquisition, le procès de Reine, le dilemme des hommes de bonne volonté et les ignobles manipulations des indispensables salopards : tout est admirablement mis en scène et dessiné par Annabel, dans un style semi-réaliste à la fois romantique dans le ton, crédible pour sa documentation, nimbé d’ambiance et de couleurs travaillées, et dialogué avec soin.