L'histoire :
Fin 1944, l’armée rouge gagne du terrain et se rapproche du camp de concentration d’Auschwitz. Les Einsatzgruppen commencent à détruire les installations, mettent le feu aux dossiers et entreprennent les « marches de la mort » avec les milliers de détenus encore présents dans les camps. Le docteur Josef Mengele laisse ses recherches à une infirmière qui est sûr de ne pas se faire fouiller. Le camp d’Auschwitz est libéré par l’armée rouge en janvier et Mengele est fait prisonnier par les américains en juin avec un uniforme d’officier de la Wehrmacht. Même s’il est enregistré avec son vrai nom, étant donné que Mengele n’a pas l’habituel tatouage des Schutzstaffel (SS), il est relâché. Après plusieurs semaines de voyage jusqu’à Leipzig, à l’Est de l’Allemagne, le docteur peut récupérer ses fameux dossiers de recherches. L’homme participait en effet à la sélection des déportés sur les quais pour réaliser diverses expérimentations médicales, principalement sur les questions de gémellité et de nanisme. Après plusieurs mois en Bavière, caché par sa famille, il rejoint la ville de Rio de la Plata en Argentine, par paquebot depuis Gènes en Italie. En Argentine, protégé par le président Juan Peron, Mendele partage les salons de la bourgeoisie allemande expatriée et quelques criminels de guerre comme Pavelic, Roschmann ou encore Eichmann, SS-Obersturmbannführer, responsable de la logistique de la solution finale...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Captivant, instructif et pesant. Ce sont les quelques adjectifs qui viennent à l’esprit après cette plongée en enfer. L’album est une adaptation par le scénariste Matz de l’œuvre littéraire romancée éponyme d’Olivier Guez, prix Renaudot 2017. Le récit se base sur les connaissances actuelles de l’exile de Mengele et les zones d’ombres ont été imaginées par l’auteur. C’est un réel numéro d’équilibriste. D’aucuns s’insurgeront qu’un auteur puisse donner une âme ou des pensées à un criminel de guerre. Le sujet est complexe et pour notre société actuelle, qui ne prend que très peu de recul en général, mal interprété. En tout cas, à la lecture de cet album, l’ensemble des lecteurs sera d’accord pour dire que l’homme est hautement détestable. Ce qui est d’ailleurs très intéressant dans ce récit, est le lien ou du moins l’aide apportée par les différents gouvernements d’Amérique latine, indifférents ou intéressés par l’accueil de ces criminels de guerre. D’ailleurs, la petite communauté d’expatriés du IIIème Reich est florissante et de nombreuses soirées sont organisées dans les salons de la bourgeoisie locale. Les affaires sont menées bon train et Mengele vend des machines agricoles de la famille aux agriculteurs locaux. La présence du SS-Obersturmbannführer Adolf Eichmann est aussi intéressante, surtout la perception qu'en a Mengele, qui le juge idiot et incompétent. Il est à recommander sur ce sujet, la lecture de L’enfer est vide, tous les démons sont ici aux éditions Glénat, retraçant le parcours d’Eichmann, sa capture par le service de renseignement israélien sans autorisation, violant le droit international, et son jugement en Israël. L’environnement graphique est ici confié à Jörg Mailliet avec un trait réaliste et une colorisation à l’aquarelle qui plonge le lecteur dans la chaleur et la moiteur de l’Amérique latine. De façon paradoxale, l’ouvrage est vraiment très joli. Ainsi, les auteurs réussissent une très belle adaptation relatant la cavale de l’ « ange de la mort ». Les mots de Perla Ovitz, rescapée du camp de la mort et cobaye du docteur Mengele, ne peuvent être plus juste : « si les juges m'avaient demandé s'il devait être pendu, je leur aurais dit de le laisser partir. J'ai été sauvée par la grâce du diable. Dieu donnera à Mengele son dû... ».
