L'histoire :
20 octobre 1963. Quelque part dans le nord de la France, un jeune homme fait du stop. Il a passé la nuit précédente dans une petite auberge de jeunesse. Son objectif est de rallier l'Allemagne. Une terre promise, qui propose du travail pour tout le monde et où on peut devenir riche en un an, au regard de ce que l'Espagne offre à sa jeunesse. Joaquin devra y faire son service militaire obligatoire. Impossible d'y échapper, mais il lui reste une année devant de lui. Il a quitté les Beaux-Arts et ne s'est pas posé de question, en partant avec 4000 pesetas en poche, données par sa mère. Quatre jours après son départ de Barcelone, le voici à quelques kilomètres de la frontière. Et même si quelques voitures passent sans s'arrêter, il se sent chanceux. Qu'importent les heures d'attente à ce que quelqu'un s'arrête, quand on est bercé par le chant des oiseaux ! Et puis il y a cette odeur fraîche d'herbe humide et la brise qui porte celle des sous-bois. Dans ces conditions, la solitude a du bon. Mais tout arrive à qui sait attendre, alors c'est une Simca qui freine à sa hauteur. Le conducteur est sympathique et il propose à Joaquin, qui parle un peu le français, de l'amener dans une fête. On va tuer un mouton et le passer à la broche. L’Allemagne peut attendre un tout petit peu...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Un rêve d'ailleurs est un récit typiquement introspectif. Un autoportrait qui a cette particularité d'accorder plus d’importance au contexte social et historique qu'à Kim lui-même ! L'auteur espagnol réussit en effet cette petite prouesse d'éviter l'effet « me, myself and I » qui peut résulter de l'exercice de style. Alors remettons les choses dans leur contexte historique : sous l’Espagne de Franco, ce sont plusieurs millions d'espagnols qui ont quitté le territoire. Certains pour un exil définitif, d'autres ne rentrant au pays qu'après le décès d'El Caudillo. Kim, lui, à l'époque, choisit de partir un an avant son service militaire obligatoire. C'est l'Allemagne qu'il rejoint, avec son industrie fleurissante, qui permet d'embaucher largement. Et une paye d'ouvrier en Allemagne, c'est une somme importante pour un espagnol dont le pays est exsangue. Le savoir-faire artistique de Joaquin lui permet d'être vite apprécié de sa communauté d'expatriés et avec lui, le lecteur vit au rythme de ces espagnols déracinés. Les missions de déneigement, les plans pourris où les poings écrasent un nez pour finir par être payé, les gens biens aussi, qui traitent ces misérables des années 60 avec bienveillance et dignité. On accompagne donc Kim, à la personnalité discrète, dans ce voyage initiatique. Pas vraiment déraciné, pas vraiment malheureux de son choix non plus, puisqu'il sait qu'il devra revenir et n'est pas résolu à être déserteur, on suppose par crainte des représailles à l'égard de sa famille s'il devait le devenir... Côté graphisme, pas de surprise : un noir et blanc d'apparence simple, mais qui s'avère très détaillé, dans la droite ligne de L'Art de voler. La sobriété du visuel permet justement de se concentrer sur la psychologie des personnages, leurs interactions, leurs histoires et parcours. Un livre plutôt exigeant car truffé de dialogues, mais vraiment touchant, comme un bel hommage que l'auteur rend à ceux et celles qu'il croisa ou fréquenta alors, et qu'il n'a jamais oubliés. Muchas gracias, Señor Kim !