L'histoire :
Jordan et Dion sont deux chevaliers à armures lourdes et brillantes, à épées tranchantes et fiers destriers qui, après vraisemblables épuisants combats, s’apprêtent à regagner leur immense château. Un palais néanmoins occupé par une ribambelle de gamins placés tout comme eux dans ce foyer par le juge pour enfants. Mais les deux frères s’en moquent éperdument : ils habitent où bon leur semble dans leur tête, au rythme de leur imagination… Les autres occupants du « château » leur font un super bon accueil : insultes, racket de desserts et inévitables coups de poings, sont preuves de leur immédiate et chaleureuse intégration. Et pour parfaire cette si bonne entrée en matière, rien de tel qu’un sympathique échange avec l’adulte référent qui, pour les mettre en confiance, hurle et grogne : une manière de leur signifier qu’il est le maître des lieux. A l’école, même galère : les deux frères semblent ne pas convenir du tout. Jordan en a marre. C’est la faute de son frère qui ressemble à une fille. C’est la faute de son frère qu’a été bercé trop prés du mur. C’est la faute de leur père qui s’est barré avec une pute et celle de leur mère qui s’est pendue. Alors pourquoi pas les zigouiller tous à la mitraillette ? Ou mieux (parce que de toute façon, son frère a peur des mitraillettes, et qu’il veut pas faire de peine à Dion) : inventer un langage qu’eux seuls comprendront…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après Carnet de rêves, Sages comme une image nous installe un peu plus encore dans l’univers particulier de Théa Rojzman, pour une lecture qui ne laisse pas indifférent. Et pour cause… Il y a d’abord ces deux frangins piétinés par la vie, rattrapés par une réalité bien plus éprouvante encore que les histoires les plus abominables qu’ils s’inventent : des enfants qui se construisent autour du double sentiment d’abandon et d’incompréhension, pour une issue qu’ils imaginent sans équivoque. Il y a aussi cette manière de faire : ce subtil entrelacs de réalité crue, d’expériences personnelles, de clins d’œil drôles, de rêve, de conte ou de fiction ; ce graphisme fait de tâches de peintures parfois violentes et parfait prolongement de la sensibilité ou des émotions de leur auteure ; cette utilisation judicieuse de la page bien peu inquiète des conventions… Pas étonnant alors, de se retrouver happé par l’empathie pour espérer que ce remplaçant, aux airs d’Instit à la Gérard Klein, ne réussisse, là ou les autres ont échoué, et que les gamins acceptent le pire pour vivre le meilleur… Ainsi, Théa Rojzman propose une description à la fois pudique et brutale de la souffrance intérieure, mais toujours teintée d’optimisme : une intelligente manière de nous faire partager, en puisant au plus profond de ses doutes, cette réalité parfois insupportable et à laquelle on cherche toujours à échapper un peu … même en grandissant.