L'histoire :
Cette sortie au centre culturel en compagnie de son épouse est pour Bruno un terrible et douloureux constat : le jazz et les conversations aux relents moisis avec la nomenklatura de la petite ville l’emmerdent incommensurablement. Pourtant, la soirée se termine sur un sursaut d’espoir quand Bruno aperçoit, parmi la foule qui s’agglutine autour des bulles de champagnes et des petits fours, une jolie journaliste qui le fait craquer en moins de deux. Le retour au domicile avec son épouse et encore plus silencieux que d’habitude : le quadra est définitivement conquis, absorbé par le souvenir de cette fée brune griffonnant sur son carnet. Du reste, ce (peut-être) coup de foudre tombe à pic : Bruno ne supporte plus la vie paisible des dimanches avec les beaux-parents envahissants, les reproches à peine dissimulés de sa femme, l’indifférence crasse de ses élèves et la philosophie footaballistique de ses collègues. Aussi, lorsqu’au bout du rouleau, il se retrouve par hasard, et la larme à l’œil, à siroter un whisky chez un dentiste amateur de jazz et de poésie porno, son cœur tressaute au galop quand ce dernier lui prête un roman dont le marque page n’est autre qu’une photo de celle qui hante ses jours et ses nuits…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il ne s’étale pas Bruno, ne fait pas de grandes théories. Il est simplement triste, Bruno, las de subir une existence qu’il aurait voulue colorée comme des peintures de Cézanne, une dans laquelle il aurait fait l’artiste, le pinceau à la main. Peu bavard, il écoute, Bruno, et laisse construire pour lui une existence qu’« étriquent » petit à petit, femme, beaux-parents, enfants, élèves et matérialisme galopant. Fatigué d’avancer, il tombe véritablement quand, comble de déveine absolue, le rebond qu’il tentait d’amorcer, grâce à un coup de foudre salvateur, est stoppé net par un refus cinglant : l’amour l’aide à creuser un peu plus le trou… Servi par un nuancier noir et gris, des cadrages portant les silences et une incroyable galerie de regards absents, cette chronique brosse avec justesse, mais aussi avec un pessimisme désarmant, une crise existentielle : celle d’un bambin de 40 ans atterré par le constat qu’il n’a plus d’autre choix que grandir. Malgré ce ton volontairement triste, le dessin qui se charge d’accentuer l’intention et une conclusion en forme de retour au point zéro, cette dégringolade se révèle particulièrement attachante. Peut-être parce qu’elle laisse le sentiment de partager une quelconque intimité ou parce qu’elle nous donne envie de colorier, avant qu’il ne soit trop tard, notre propre grisaille. Un album touchant, en tous cas, inaugurant la nouvelle collection Mimosa (pas vraiment la couleur de l’album pourtant…) chez Les Enfants Rouges.