L'histoire :
Cette nuit, Lune-dans-les-nuages s’est éveillée liquide. Ses rêves qui sauvèrent naguère la vie de son jeune mari annoncent aujourd’hui sa perte. Elle sent qu’un grand danger le guette. Pourtant, Quatre-Vents souhaite désormais prouver sa valeur. Assis sur le rempart à jouer de la flûte, il s’interrompt et conte à sa moitié l’entrevue que le chef lui accorda le jour passé. Tous les rois du Nord rêvent de s’emparer de Tenochtitlan, la plus riche ville au sud. Bientôt, les Pawnees et leurs alliés partiront à la conquête de l’empire d’Aztlan. Son fils Deux-demi-Lunes conduira l’expédition et Quatre-Vents prendra la tête de ses frères Lakotas et des nomades des plaines. Ainsi, ses exploits feront de lui le plus grand des guerriers… Le jour venu, alors que les cavaliers s’assemblent, une rixe éclate entre les deux têtes de l’armée. Deux-demi-Lunes insulte Quatre-Vents qui lui répond ironisant sur son scalp peu fourni. La campagne s’annonce mal. Surtout que l’affrontement dégénère et emporte à brides abattues les duellistes jusqu’à l’hallali. Car après une chute conjointe dans un ravin, ils se réveillent sonnés et attachés à un poteau de torture, à la merci de l’ennemi…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les indiens d’Amérique(s) vivent aujourd’hui dans des réserves. Du moins ceux qui souhaitèrent le plus possible prolonger une vie communautaire. Et si à la suite de Colomb les conquistadors n’avaient pu demeurer en terres conquises ? Si la victoire était allée au Nouveau Monde ? Poussant même le paradoxe à l’extrême, Luxley (par Mangin et Ruizge chez Soleil) imagine l’Inca dominer l’Europe ! Ici, la force du scénario bâti par Igor Baranko repose au contraire sur la mesure, des réserves. A partir d’une simple (mais au combien ingénieuse !) manipulation shamanique, le temps a dévié sa course pour emprunter un itinéraire parallèle où les peaux rouges sont encore rois en leur domaine. Ainsi, cet événement fantastique préserve l’intrigue de tout anachronisme stupide pour une pleine liberté créative. Les peuples, les mœurs et les cultures respectées gardent leurs saveurs. L’historique se met au service du vraisemblable. Si le premier tome péchait par un graphisme jugé difficile, celui-ci y ajoute une unité, tout en préservant sa force. L’unité d’un trait prononcé, d’un crayonné abouti et d’une colorisation à dominante terre avec un univers de plaines, forêts et déserts harmonieusement décrits. Les personnages sont intéressants, leur épaisseur appréciable et l’aventure repose sur une dynamique improbable sans perdre une précieuse crédibilité. Bref, une heureuse réussite que ce récit détonnant, très engageant. En sus, ce monde clos en parfait équilibre demeure fragile. Judicieusement, Baranko laisse planer des réserves quant à la réussite du stratagème. On ne joue pas avec le temps impunément (cf. les excellents Retour vers le futur et la notion de paradoxe temporel). Si la menace pâle, les démons venus de la grande eau n’avaient été que différés ? Tout cela pour mieux sauter ? Alors n’ayez aucune réserve…