L'histoire :
Konoshiko, jeune et pauvre paysan japonais ne sourit pas. Jamais. « Il a franchi le cap des grandes fulgurances ». Seul et isolé, il ne cesse de penser aux fantômes qui l'assaillent d'orages, de tapage nocturne. Plus tard, ces fantômes ont pris une forme humaine. Ils allaient lui transmettre un message. Et il se pourrait bien qu'ainsi, il lui confient un terrible secret... Ces dessins ont été réalisés à l'encre de Chine par Raymond Girouard, un grand artiste interné à l'hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Dans le cadre d'une thérapie de groupe orchestrée par l'infirmier-chef, Robert Adolphe, il commente ses propres illustrations lorsque, tout à coup, il lâche : « je n'ai rien à ajouter ». Mais devant l'insistance de l'infirmier et de guerre lasse, il poursuit son récit, alors que les patients l'écoutent sans en perdre une miette. Car si mettre des mots sur ses peurs et angoisses permet d'entamer la guérison, il se pourrait bien, aussi, que les dessins soient porteurs d'une terrible malédiction...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Konoshiko est avant tout un livre irréductible à toute tentative de classement : ni une BD, ni un roman graphique, encore moins un livre illustré. L'objet brasse textes, images, art et littérature. C'est donc à une audacieuse expérimentation formelle et narrative que se livrent Luc Giard et Jean-Marie Apostolidès. Le résultat intrigue et surprend. On y suit plusieurs récits enchâssés, d'où jaillit un sombre et angoissant mystère. Konoshiko, l'histoire de ce paysan japonais, réalisée par un artiste génial mais malade, finissant par se confondre avec son créateur, Raymond Girouard. L'idée étant de trouver du sens dans des séquences d'images pour entamer le travail de guérison. Sauf que cette œuvre va changer de main, tour à tour volée, vendue ou offerte par un infirmier, Robert Adolphe, son supérieur ensuite, le médecin Goulet, sa maîtresse Thérèse Rançon, un riche collectionneur chinois Li... Au total, cinq personnages aux motivations différentes qui interprètent chacun à leur façon la légende de Konoshiko. Passeurs de malédiction, témoins du temps, miroirs de psychés tourmentées, les dessins renferment en fait un secret qui prophétise, peut-être, une tragédie à venir. Histoire de projections mentales, la légende de Konoshiko révèle à chacun ses refoulements, ses peurs, mais aussi ses désirs, pulsions ou fantasmes. Si bien que l'ambiance est tour à tour noire ou torturée, presque angoissante. Surtout, les auteurs s'amusent à orienter le lecteur sur un chemin glissant, dépourvu de repères, volontairement flouté et incertain grâce à un dispositif narratif malin, deux récits enchâssés. Le lecteur avance ainsi à tâtons, ignorant du chemin qu'il prend. Et ce livre, cette œuvre, ces personnages, existent-ils réellement en fin de compte ? Ne sont-ils pas le fruit imaginaire d'une conscience dérangée ou dépressive ? Simple œuvre d'art ? Miroir magique ? Banale histoire d'amour ? On ne le sait guère et c'est bien là tout le charme de l'expérience de lecture. Bref, Konoshiko donne à voir un univers étrange qui cultive le mystère, fascinant par moment, dérangeant aussi, où le lecteur se perd entre réalité et fiction, où toute certitude vacillera sur l'autel de la vérité, qui est ici une psychanalyse graphique et littéraire. Intelligemment mis en image à l'encre de Chine, dans des illustrations suggestives. Un livre différent. A tenter.