L'histoire :
Le 31 mars 2004, la reporter française Anne Nivat se trouve à Falloujah (Irak), alors en plein chaos, pris en tenaille entre les soldats américains et les milices d’Al-Qaida. Dans une ville en ruine, baignée d’une écrasante lumière, elle enfile son hijab, ses gants et descend en ville. Elle assiste au lynchage post-mortem de quatre ennemis carbonisés. Ils seront trainés en voiture sur le bitume puis pendus à un pont. Des rafales de mitraillette rappellent le danger de ce terrain de guerre. C’est la débandade, la foule se disperse. Esseulée, Anne se protège derrière un bout de mur. Un jeune homme au regard terrorisé lui tient compagnie le temps que les troupes passent. Dans un état second, il répète en français : « Ici, c’est la gueule du loup ». Dix ans plus tard, Mahmoud discute avec Abdel dans un troquet de Nice, en attendant Anne. En raison de son origine tchétchène, Mahmoud vient d’être refusé pour la légion étrangère – évidemment, les recruteurs étaient russes ! Mais aucun sentiment de vengeance ne l’anime, Mahmoud est habitué à n’être d’aucun pays. Dommage, car son expérience du combat en ferait un militaire aguerri… et il ne se voit pas effectuer un autre métier – et certainement pas agent de sécurité pour des milliardaires russes de la côte d’azur !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec Dans la gueule du loup, Anne Nivat, avec l’aide de Jean-Marc Thévenet, tentent de casser les préjugés que les médias ont tendance à nous ancrer autour des combattants islamistes. En cause, les terribles attentats islamistes des dernières années ont durablement généré la confusion sur l’Islam dans l’opinion publique. Ancienne correspondante à Moscou, polyglotte (6 ou 7 langues), Prix Albert Londres (2000), journaliste indépendante (surtout pour le Point), chroniqueuse géopolitique sur LCI, spécialiste des zones sensibles (et accessoirement épouse de Jean-Jacques Bourdin), cette grand reporter et reporter de guerre a la pleine légitimité et l’expérience d’évoquer ce sujet. Elle était à Falloujah en plein chaos de la guerre d’Irak (2004), mais est aussi allée en Afghanistan et à Grozny en 1999, au début de la seconde guerre de Tchétchénie. C’est là qu’elle a rencontré Mahmoud, combattant indépendantiste. Et c’est surtout sa relation de proximité avec ce dernier qu’elle relate à travers cette BD reportage partiellement romancée, qui s’intéresse aussi, mais secondairement au djihad du jeune Abdel. A Falloujah et dans les alentours de Grozny, Anne Nivat se met en scène et fraye avec la mort. Elle ne doit alors sa survie qu’à sa nationalité et à la diplomatie française. Malgré le désir de ne pas prendre parti – question de déontologie – on sent bien que la journaliste plaide pour l’indépendance tchétchène. Il est d’ailleurs dommage que ce récit dessiné n’aille pas au fond de la vulgarisation géopolitique sur ce terrain, afin de donner plus de clés aux lecteurs pour comprendre ce conflit (et les autres… vaste programme !). En même temps, Anne Nivat ne parle que de ce qu’elle connait pour l’avoir vécu, et c’est tout à son honneur de reporter. Le focus est davantage porté sur son dangereux métier, plutôt que sur les conflits à proprement parler. Le dessin est assuré par l’expérimenté Horne, qui n’a certes pas eu une partition aisée. Sur une griffe réaliste encrée et rehaussée d’un lavis en bichromie (avec des associations de teintes souvent osées !), le dessinateur toulousain se borne à mettre en scène majoritairement des palabres autour des tensions ethniques et des sentiments nationalistes.