L'histoire :
Explosions, accidents, souffle dévastateur, urgence apocalyptique. Au lendemain du 11 mars 2011, lorsqu’un tsunami s’est abattu sur les côtes nippones, le Japon est à l’agonie. Dans ce chaos, trois voix émergent peu à peu. « Elle » donne des nouvelles à un interlocuteur lointain, rassurante, toujours : « ce n’est pas grave », « ça va », « je sais que la TV vous montre des choses horribles. Ne t’inquiète pas ». Un bandeau d’information continue fait défiler le témoignage d’un observateur et de victimes de la catastrophe. « Yuki » envoie des messages au sens indiscernable : « de l’amour comme pas exposé. Ou plié. » Fragments de paroles sur déchainement cataclysmique : pas de récit ici, de la poésie.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ouvrage déstabilisant que ce deuxième one-shot que Jacques Ristorcelli consacre au Japon, après Notes sur le sumo, écrit avec son éditeur en 2007. Nos attentes de lecteurs sont tour à tour fragilisées et notre fil de compréhension perturbé. Le titre et le texte de Baudrillard introducteur annoncent une réflexion critique sur les médias, la télévision, les réseaux sociaux : « il y a un énorme déchet informatif, communicatif, informationnel, qui est aussi une masse inerte, c’est une force d’inertie qui pèse sur l’événement même », « l’information s’empare trop vite de ce qui se passe […] c’est trop fugace, trop volatile et cela se dilue dans un espace qui n’est plus tout à fait le nôtre ». Mais la lecture engagée, une évidence s’impose : les thèmes annoncés sont bien à la marge de ce qui se passe sous nos yeux. Les écrans n’ont qu’une existence implicite comme support des voix. Le tsunami n’est jamais représenté, mais est au cœur du flux d’informations, de l’échange avec « elle » et des images de dévastations. Bien loin d’un discours philosophique ou d’un récit de témoignage, la BD de Risto décale ses sujets et fait émerger une bouillonnante poésie graphique et textuelle. Les larges cases déploient, par association d’images, des paysages de catastrophes successives en un mouvement ininterrompu d’explosions, d’accidents, de destructions, de drames. La matière graphique est constituée d’images existantes redessinées : comics books, affiches de défense civile datant de la guerre sino-japonaise… Polyphonie graphique donc, mais également polyphonie textuelle puisque plusieurs voix, sans corps ni identité, s’enchevêtrent : « elle », un reporter, les témoignages recueillis et Yuki… une parole dont la confusion nous laisse deviner une traduction automatique d’un échange érotique. Dans cet album, les éléments sont bien davantage des signes dont le sens reste ouvert, que le matériau d’une narration. Les vides sont à combler et l’auteur nous en laisse la liberté. Chacun créera donc son propre espace dans cette poétique de la catastrophe, du bruit et du silence, de l’horreur et de la douceur, de ce qui nous unit et de ce qui « fait écran ».