L'histoire :
« Personne ne me voit. Ils sont seulement excédés de marcher derrière moi, parce que je suis lente. Ils me dépassent en soufflant et m'oublient une seconde après. Parce que je suis vieille et moche. Ils se disent que je me rends sûrement pas compte que j'ai de la barbe et des poils sur le nez. Sinon je les épilerais. Hé ben si, je m'en rends compte. Et je l'aime bien ma barbe. Et je t'emmerde. » La vieille tire son cadi dans la rue et se fait aider par les jeunes gens dans le Megaprix du coin, en s'amusant d'eux. Elle est invitée à rejoindre une table parce qu'on a pitié d'elle, seule, à la cafétéria, mais vient déposer un molard en guise de réponse. Elle reste assise chez elle, longtemps, avec son chat sur les genoux, lui qui pourtant ne dit rien, à l'inverse des chiens avec qui elle communique. Un jour, elle partira en montagne, très haut. Peut-être, un jour...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Delphine Panique est punk. Une punk féministe et dessinatrice. Elle se sert depuis 2013, et son premier album Orlando aux éditions Misma, d'un dessin au style très basique, remplissant de petites cases alignées les unes aux autres sans espace inter iconique, pour raconter des quotidiens sous une forme pince sans rire. Ou plutôt si, elle se moque, en exagérant les traits (ici les rides) et le propos, et en dénonçant nos travers de petits humains misérables. Ces humains, hommes ou femmes, sont représentés par des silhouettes anodines, longilignes, toutes vêtues de combinaisons intégrales moulantes et grises. Et ces « zombies » de la vie, tous pareils, sans grand intérêt, mis à part sexuels éventuellement, sont quasi tous jeunes. Ce fameux jeunisme s'opposant comme un obstacle à la vie de cette grand-mère, d'un autre monde, d'un autre temps, ne voyant d'autres humains différents que dans ses souvenirs vagues, ceux de ses anciens amants ou mari : Anatole ou Roger. Ah oui, la vieille rêve qu'elle va mourir. Souvent d'une mort idiote, liée à ses gourmandises. En parlant de souvenirs, il semblerait qu'elle n'ait pas été une bonne mère non plus, elle qui n'est pas la dernière à critiquer (ou cracher ou péter ; ses rares signaux de revendication et d'existence). Finalement, la vieille rêve davantage qu'elle ne vit, de montagnes par exemple, mais surtout d'un monde qui n'existe plus, ou n'a jamais existé pour elle. Comme quoi, Delphine Panique a beau être un peu punk, elle a du cœur, beaucoup, et nous touche, avec sa poésie de gypaète barbu. Un très joli petit album sensible, à la finition toilée du plus bel effet.