L'histoire :
Août 1935, Mussolini veut l’Ethiopie. En décembre de l’année précédente, il en avait déjà exprimé l’intention lors d’un affrontement entre ses troupes et celles d’Hailé Sélassié. A Genève, la Société des Nations Unis a mollement condamné l’événement. Toujours est-il que le Ducce continue de faire monter la pression en envoyant en Mer Rouge ses navires chargés de troupes et de matériels. Or, le matériel, c’est justement ce qui manque cruellement à l’armée du Lion de Judée. C’est pourquoi, sur les bords du Canal de Suez, une judicieuse idée trotte dans la tête de Vasil Babitchfef, un espion abyssin : s’emparer de matériel blindé britannique dans un camp militaire égyptien. Cependant, comment y parvenir ? Le hasard, ou plus simplement le subtil jeu de domino du destin, lui donnera pourtant bientôt une satisfaisante réponse à la question. Parmi les pièces de ce jeu ancestral, on peut compter sur un membre irréprochable de l’armée britannique stationnée à Alexandrie : le sergent major Peter Cushing, du service du chiffre. Exemplaire, tout du moins jusqu’à ce qu’il perde aux cartes et contracte d’énormes dettes auprès d’un gras égyptien prêt à lui demander, en échange, de trahir son pays. Et puis il y a aussi Libertario Miccoli, un anarchiste fuyant le fascisme comme on fuit la peste et prêt à donner du poing au premier uniforme mussolinien lui passant sous le nez. Ces deux-là n’ont rien en commun. Ils auront bientôt deux automitrailleuses Rolls Royce à partager. Deux machines de guerre, un périlleux voyage et deux jolies compagnes également…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec sa bonne centaine de pages, ce récit proposé par le talentueux auteur transalpin est un véritable bijou de narration. Les années 30, la chaleur africaine, les prémices du conflit italo-égyptien et ses corollaires, servent de théâtre à un récit d’aventure rendu captivant, en effet, par la manière dont il nous est présenté. Car il faut bien le reconnaitre, sur le plan de l’intrigue à proprement dite, il n’y a « rien de plus » que le vol de deux automitrailleuses et son convoyage vers l’Abyssinie par deux improbables associés. A l’inverse, pour ce qui est de nous accrocher à l’entreprise de ce sergent déserteur et de son acolyte anarchiste convaincu, c’est admirablement bien fait. Micheluzzi cisèle sa narration à grand renfort de voix-off. C’est lui-même qui conte (il se met d’ailleurs en scène graphiquement à deux ou trois reprises), utilisant un journal dont on ne connait pas vraiment l’auteur, relatant avec précision les événements décrits. Ce procédé est terriblement malin. Le médium « journal de bord » s’il limite quelque peu la fluidité donne beaucoup de réalisme et d’intimité à la fiction. La découpe chronologique, par morceaux choisis, est quant à elle un formidable accélérateur de suspens et de tension. De même, la lecture en voix off des événements a posteriori, permet à l’auteur de prendre un savoureux recul et de s’amuser de perpétuels commentaires tisonnant admirablement bien le propos. On voyage ainsi allégrement dans l’Histoire. On prend plein nez le contexte géopolitique sans s’en apercevoir. Le tout sans emphase encyclopédique, mais uniquement par la mise en situation des personnages. Bref, un exercice brillant, rendu captivant par des protagonistes impeccablement ciselés (charismatiques sans que l’auteur ne prenne le soin d’en faire des tonnes) et livré par un noir et blanc très classique, mais d’une terrible efficacité. Le découpage complexe, associé à ce dessin fortement encré, risque de prime abord de faire hésiter les lecteurs habitués aux récits un chouya prémâchés. Mais en faisant un petit effort, il serait surprenant que l’album n’emporte pas l’adhésion de tous.