L'histoire :
Stefano Casini se souvient, quand il était petit, de ses visites à Querciolo, le petit village de campagne où résidaient ses grands-parents, en Italie. Son père prenait alors le volant et s’engageait sur la via Aurélia n°1, celle qui part de Rome vers le nord, jusqu’à s’enfoncer de plus en plus dans la campagne. La première fois qu’il était descendu de voiture, à l’arrivée, Stefano avait eu la trouille de sa vie. Il avait été accueilli par Giorgio, un demeuré aux cheveux hirsutes, qui posait sans cesse la même question dénuée de sens : « Et il où Buggegge ? ». Son père lui avait expliqué qu’il n’était pas méchant, peut-être juste un peu impressionnant. Et puis Stefano avait découvert le tonton, les animaux de la ferme, le grand-père toujours en sabots, cette curieuse obsession de s’occuper traditionnellement de la ferme, sans machine. Quand la famille se retrouvait ainsi, c’était aussi pour inlassablement se remémorer les souvenirs de guerre. Notamment, quand il était jeune, le tonton avait été réfractaire au service militaire et une fois, il avait échappé de peu à la patrouille de deux allemands à l’intérieur de la maison. Dans la manière de le narrer, cet épisode était magnifié et enrobé d’héroïsme. Mais si ça se trouve, la réalité avait été plus prosaïque…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avec ce one-shot de 108 planches, Stefano Cassini partage avec ses lecteurs un délice de madeleines de Proust, en quelque sorte. Comme l’indique le titre, et dans un désordre chronologique aussi confus qu’une mémoire d’homme peut être abstraite, il relate des Fragments de souvenirs qui remontent en lui, lorsqu’il repense à ses visites dans la famille du côté de son père, dans un coin de campagne rustique. A grands renforts d’encadrés narratifs au verbe soigné, Casini détaille ses états d’esprit du moment, traduit le prisme enfantin par lequel il embrassait alors sa vie. Il transmet les « histoires » qui ont forgé la légende familiale, avec quelques moments de fortes émotions, essentiellement issues de la seconde guerre mondiale. Le principe du scénario n’est pas poussé plus loin : il pourra paraître simplet, voire « facile ». Toujours est-il que le grand respect et la tendresse qu’évoquent en lui ces moments, procure au résultat séquentiel une grande force narrative, immersive. Le talent artistique et l’expérience de Cassini y sont pour beaucoup dans cette harmonieux souffle : le trait semi-réaliste est d’une grande justesse, un modèle d’équilibre et de composition, et le choix idoine d’une colorisation quasi bichromique, aux couleurs délavées, fait ressortir la lumière, comme jaillissant d’un vieux projecteur à diapositives. Au final, Casini parvient superbement à concrétiser sur papier un sujet personnel et délicat, et à parfaitement cerner et transmettre le sentiment d’heureuse nostalgie. Gage des plus grands…