L'histoire :
Une petite fille se livre face à un psy imaginaire, racontant comment elle a été élevée avec haine et dureté par sa mère, fervente croyante, mais ne l’ayant pas désirée. Suite à un passage heureux à Tahiti où son père travaille pour le nucléaire, toute la famille revient vivre en Bretagne, à Brest. Durant les grandes vacances, elle et son frère aîné sont laissés dans la maison du grand-père paternel où beaucoup de gens passent. Son oncle Léon est gentil et l’emmène visiter les vieux chais, où les enfants n’ont pas le droit d’entrer. C’est là qu’il abuse une première fois d’elle. Mais comme souvent, dans ces cas-là, la grand-mère n’oppose que le déni, l’ostracisant même. Dès lors, la vie d’Anne-Sophie va être peuplée de cauchemars, de monstres, de sentiments de noyades et de fantômes bienveillants, jusqu’à ce qu’adulte, la peinture lui ouvre une première porte de sortie.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avant la première, il y a eu une dernière couleur, d’après le titre d'un album auto-édité par l'autrice chez Grrr...art éditions en 2019 (La dernière couleur fut le rouge), traitant de la vie de Doris Valerio, sculpteur aveugle, amené à devenir son compagnon, et décédé depuis. Ce nouvel album, cette fois chez un éditeur ayant pignon sur rue, lui rend hommage, et dévoile la face cachée de l'Autrice, peintre ayant confirmé son choix de la bande dessinée pour évoquer ses démons. Cela aurait pu donner un album sans âme, dessiné mollement comme tant de docu-fictions trop souvent vus. Mais Anne-Sophie Servantie maîtrise son art et propose un « trait de craie » numérique admirable, tout en finesse, aux couleurs douces, d'un grand professionnalisme, qui n'est pas sans rappeler celui d'un maître en la matière : Bernard Yslaire. Quelques-unes des superbes toiles de la peintre sont aussi éparpillées au long de l'album de 86 pages – beau travail ! – réussi de bout en bout. Elle raconte sous couvert de son avatar d'enfant, une belle fillette aux cheveux blonds bouclés, se livrant à un (une ?) psychologue, dont on finira par comprendre enfin la réelle identité en toute fin. Le traumatisme trouve sa résolution au fil d'un long trajet introspectif, mettant en lumière les fissures et exorcisant les dysfonctionnements familiaux enfouis. Habité par le fond et par sa forme, ce second album complet révèle véritablement l'Autrice au-delà de la peinture et de ses autres incursions dans la BD. Puissant, comme sa superbe couverture, cet album fait à nouveau briller le catalogue Mosquito, décidément en verve avec la peinture en ce début d'année.