L'histoire :
Le 29 février 1492, Rebecca Cioara des Grisons, gitane tireuse de tarot, recueille dans la grotte où elle avait fait halte, sur les pentes du lac de Piona, un homme nu à demi mort. Mercurio Bragia est un jeune et beau poète de son état, à la langue un peu trop pendue, pourchassé par la police qui l’a torturé. Tous deux vont se retrouver mêlés à une affaire de corruption et de vol de bijoux ecclésiastiques, fomentée par l’inquisition auprès d’un usurier juif, issu d’une famille de banquiers : Aaron de Mantoue. L'ancien soldat Francisco Vito Vignolo, dit Faccia d'Osso, bourreau des gueux, est chargé par l'archevêque d'Aquilée de veiller à la « propreté » de la ville. Sa corpulence et son sadisme le font craindre de tous. Il sera l'instrument des méthodes peu scrupuleuses des nobles, avant d'être lui-même floué par la belle gitane. Rebecca fera entre temps connaissance avec la rousse Anna, « sorcière » bien malgré elle. Toutes deux s'en iront, obligées de fuir un monde décidément bien trop rigoriste pour les femmes différentes.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette aventure en 17 chapitres très documentés va nous faire découvrir l’Italie de la Renaissance, sous un angle rarement vu. Ce récit a été créé et publié dans une première version dans la revue italienne Linus en 1981. Anna Brandoli et Renato Queirolo ont fait connaissance à Milan en 1968, alors qu'ils avaient mis en place un groupe de propagande artistique. En 1975, épuisés par cet engagement, tous deux se sont retrouvés à assumer des responsabilités familiales. Cette série magnifique à bien des égards, tant graphiques que dans sa recherche documentaire et la poésie narrative qui l'accompagne, encore accentuée par les intertitres qui rythment ses chapitres, a démontré qu'il était possible, à l'instar d'autres rares auteurs comme Enrique Breccia, et ses histoires purement Argentines de Pampas de créer une bande dessinée non évasive. Cependant, les éditions Milano Libri payaient trop peu pour leur travail, à l’époque. Elles n’entreprirent pas de vendre les premiers jets de cette création à d’autres éditeurs. Queirolo dû donc revoir son projet en le mutilant. L'autre éditeur davantage compatible avec leur esprit d’innovation fut Il Corriere dei Piccoli, pour lequel Queirolo proposa un nouveau personnage évoluant deux siècles plus tard que sa sorcière originale, dans le duché de Milan. Cette gitane va à la découverte des terres les plus avancées alors d’Europe, l’année où Colomb veut découvrir les Indes. L’éditeur fut enthousiaste mais abandonna bien malheureusement la direction de Milan Books deux ans plus tard, ce qui mit un frein à la série dont on attend toujours la suite… même si cet album se suffit à lui-même. Celui-ci, pour lequel Anna Brandoli a reçu le prix Yellow Kid en 1984 pour le premier épisode, reste une œuvre majeure, rarement égalée au niveau du dessin et du scénario, même à l'époque, pourtant peu avare de chefs d’œuvre tels ceux d’Hugo Pratt, à qui l’on pourra faire allusion évidemment sur ce genre d’aplats noirs aérés, ou ceux d’autres auteurs de la revue (À suivre), tels José Munoz, Claude Auclair, Didier Comès, ou encore les beaux dessins d'Edmond Baudoin. Deux autres tomes compléteront à l’époque ce premier volume de Rebecca, mais en couleur, dans la collection Vécu. Puis suivront les séries Alias et Cuba 42, avant qu’Anna Brandoli n’arrête la bande dessinée. C’est donc un beau cadeau que nous offrent les éditions Mosquito, avec une nouvelle traduction plus moderne et plus détaillée, dans une maquette respectueuse de l’originale, quoi qu’un peu plus petite, et quelques aquarelles couleur en bonus dans les pages d’introduction de Renato Queirolo. Bellissima Rebecca !
