L'histoire :
L’été 1935, Almah et Wilhelm, de confession juive, se marient à Vienne avec fastes. Dans les jardins où se tient la réception, on parle beaucoup de la prise de pouvoir dans l’Allemagne voisine, par le parti nazi d’Adolf Hitler. Le nouveau chancelier n’a jamais caché sa haine des juifs et le climat est donc délétère pour cette communauté, même en Autriche. Almah et Wilhelm partent en voyage de noce en se promettant de ne pas évoquer les nazis ou la question juive. Quelques mois plus tard, les jeunes mariés sont au théâtre, lorsque des nazis font irruption pour insulter le public, à majorité juive. Wilhelm et Almah, qui est enceinte, s’éclipsent comme le reste du public. L’hiver 1936, Almah accouche d’un petit garçon, qu’ils baptisent Frederick. Décision est prise de ne pas le circoncire : les deux familles ne sont pas très pratiquantes et ils considèrent ce rite quelque peu barbare. Les exactions antisémites se multiplient en Autriche, au point que des amis proches leur annonce qu’ils s’exilent aux USA. Wilhelm et Almah ont un métier bien installé et leurs parents à proximité, donc ils restent en Autriche. Mais en mars 1938, c’est l’Anschluss : sans tirer le moindre coup de feu, l’Allemagne annexe l’Autriche. Dès lors, au quotidien, les juifs sont de plus en plus conspués, spoliés, humiliés publiquement. Le rédac chef de Willhem lui annonce que son journal est racheté par un concurrent ouvertement nazi. Evidemment, une purge est faite sur les journalistes juifs : il est viré. Quelques jours plus tard, c’est au tour d’Almah de perdre son travail, pour des causes similaires…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’origine, Les déracinés est un roman de Catherine Bardon, qui a connu son petit succès (300 000 lecteurs) et remporté quelques prix. La romancière se charge elle-même de l’adaptation en BD et – chose assez rare pour une néophyte en matière d’art séquentiel – elle réussit admirablement l’exercice ! Cette grande fresque historique de 112 pages débute par le mariage d’un couple juif autrichien, Almah et Wilhelm, au moment de la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne, et se termine à la mort de Wilhem en 1961. Durant un quart de siècle, on suit les étapes et les obstacles franchis par ce couple au cours de cette période on ne peut plus trouble de l’Histoire, sans jamais s’ennuyer. Au gré de cinq chapitres, on s’émeut en partageant leur amour initial ; on s’indigne en (re-)découvrant la montée de l’antisémitisme dans l’Allemagne-Autriche des années 30 ; on vibre au rythme de leur exil compliqué vers la République dominicaine ; on s’attache à leur capacité d’adaptation et de résilience ; on s’intéresse à leur expérience de kibboutz tropical. Car peu le savent et cela compose le cœur du récit : juste après avoir massacré des dizaines de milliers de haïtiens, le dictateur dominicain Rafael Trujillo a accepté que des juifs installent une communauté utopique sur son littoral, à l’abri de la fureur nazi européenne. S’il faut sans doute voir dans cette bonté une façon de se racheter une conscience, ce kibboutz de Sosua préfigure la création de l’Etat d’Israël. Le récit n’est jamais trop verbeux, toujours immersif, dessiné et mis en scène avec une rigueur documentaire et une parfaite cohérence artistique par Winoc. Il vulgarise surtout avec une noble puissance romanesque une page d’Histoire et de Mémoire méconnue, qu’il est nécessaire de transmettre aux générations futures.
