L'histoire :
Après la défaite de 1870, l’Alsace et la Lorraine sont rattachés à l’empire de Prusse. Cette annexion est vécue comme un traumatisme par les français et les alsaciens. Aussi, lorsque la première guerre mondiale est déclarée, ils mettent rapidement un point d’honneur à récupérer ces territoires. Ainsi, dès août 1914, les forces françaises pénètrent au-delà de la frontière allemande, jusque Mulhouse et Colmar. Mais après la bataille de la Marne, la ligne de front se stabilise plus à l’ouest. Le front vosgien demeure de première importance pour l’Etat-Major. Des chasseurs montagnards sont envoyés en nombre pour tenter de repousser les points de contrôle allemands. Antoine est l’un d’eux, simple berger dans le civil, et il se compare aux loups qu’il craignait jadis, lorsqu’il était enfant. Il appartient au 14ème bataillon de chasseurs qui bravent les rigueurs de ce mois de février 1915 enneigé et glacial sur le massif du Hartmannswillerkopf. Ils ne voient quasiment jamais cet ennemi qu’ils craignent cependant plus que tout. Pour tuer le temps, Antoine se réconforte en contemplant l’unique photo de sa fiancée Léonie, qu’il conserve précieusement sans une poche, comme un porte-bonheur…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La première guerre mondiale constitue sans doute la pire boucherie jamais engendrée par notre humanité – qui s’y connait pourtant en boucheries. Les BD mémorielles pullulent sur le sujet, d’ordinaire plus promptes à nous emmener sous les bombardements de Verdun ou virevolter dans les airs avec l’aviation balbutiante. Natif de la Marne, Victor Lepointe choisit, lui, de nous envoyer sur le front glacé des Vosges. A l’époque, le massif hercynien est un enjeu d’honneur, car il a été annexé pendant près d’un demi-siècle par la Prusse. Lepointe nous place en première ligne de la guerre de position, aux côtés des « chasseurs », comme on appelle les militaires œuvrant sur terrains montagneux. Souvent étayé par des encadrés narratifs, mais aussi via les dialogues entre poilus, le scénario nous fait vivre l’angoisse d’un ennemi au départ invisible, mais bel et bien menaçant, au milieu des rigueurs hivernales. Puis il nous convoque en raid meurtrier, au summum de l’engagement morbide, pour la prise d’un bunker allemande muni d’une mitrailleuse. Rien que du très banal, oserait-on dire, si on ne tenait pas compte du formidable travail de reconstitution et de l’aspect mémoriel, foncièrement respectable. La bataille du Linge, c'est 17 000 morts dont 10 000 côté français, et le surnom de « Tombeau des chasseurs ». L’engagement de ces hommes pour la Nation, au prix de leur vie, dépasse l’entendement. Un bel hommage leur est ici rendu par Lepointe, qui porte un soin tout particulier à son dessin réaliste chiadé, rehaussé d’une colorisation sobre aux pastels et lavis. On tremble et on suffoque au côté de ces chasseurs.