L'histoire :
Le langage est un virus venu de l’espace. Au commencement, était le verbe et le verbe était Dieu… Le verbe était Dieu et le verbe s’est fait chair. Mexico, 6 septembre 1951. Une femme tient un verre en équilibre sur sa tête. Elle dit qu’elle ne va pas regarder, elle ne supporte pas la vue du sang. Le narrateur explique que ce soir-là, il a été mis en contact avec l’envahisseur, cette impulsion irrationnelle qui l’a poussé à commettre l’irréparable. On appelle ça « la possession », quand il arrive qu’une entité se faufile dans un corps et que ses mains se mettent en mouvement pour étriper une prostituée ou pendre le fils du voisin ou transpercer d’une balle le front de son épouse en jouant à Guillaume Tell… Des années plus tard, l’homme qui tenait le revolver arrive à « l’interzone bar » avec, en poche, la carte du docteur Benway, médecin autodidacte. Dès son entrée, il se fait prendre à partie par un gay qui le trouve « classe ». Il lui dit de s’occuper de ses fesses. L’autre insiste en lui disant qu’il a deviné ce qui l’amène ici : il vient voir le docteur. Sinon pourquoi venir dans un pareil bouge ? Et lui indique que son cabinet est au fond, dans les toilettes. L’homme traverse le bar, un mungwump, une créature produisant un puissant psychédélique, boit un cocktail. Quand il entre dans les toilettes, un singe fume une cigarette dans le lavabo et une télé diffuse des messages pour le moins inquiétants. Le docteur Benway accueille le nouvel arrivant en l’invitant à ne pas fuir, ce n’est pas la solution et à s’assoir. L’homme s’exécute et explique qu’il a déjà fui, ce n’est pas ça qui le tourmente. Ce qui le tourmente, c’est la possession, le contrôle extérieur qui veut l’expulser de lui-même…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Burroughs est un incontournable pour les amateurs de Lovecraft, Cronenberg, Lynch et autre Poe ou Bernard Werber. William S.Burroughs, écrivain toxicomane, père du « cut up » technique littéraire à partir de fragments de textes d’origines différentes, rattaché à la Beat generation, est connu pour avoir malencontreusement tué sa femme en jouant à Guillaume Tell. A partir de là, il plongera dans les hauts fonds de son âme pour en ramener la matière qui lui permettra notamment d’écrire Le festin nu (adapté par Cronenberg au cinéma) et intitulé ainsi par Kerouac qui le préféra à Interzone choisi initialement. Fruit de sa déchéance exploratrice dont il aura fait le tour pour finalement se relever, son œuvre est hallucinée, inracontable par essence. Le credo de ce genre de personnage est que ses hallucinations sont en fait des révélateurs d’une réalité beaucoup plus proche de Matrix que du résidu de démocratie qui alimente encore les croyances de beaucoup (trop). Bernard Werber écrit « ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison » ; Joao Pinheiro l’auteur de cet album hypnotique, explique à sa façon qu’il est d’accord avec lui. Derrière une couverture édifiante qui figure bien l'univers du récit et l'intérieur de la tête de Burroughs, le dessin de l’auteur brésilien porte le sujet à merveille. Ciselé à l'image de l'intrigue, il est soutenu par une superbe bichromie blanc-bleu. Le point commun et convergeant de ce genre d’œuvre est que l’invisible recèle beaucoup plus que des ondes radio. Les drogues psychédéliques font tomber le voile de la réalité pour en révéler une autre discrètement connue par certaines élites, certains religieux, les membres de fraternités comme les francs-maçons, d’autres plus secrètes et enfin beaucoup de toxicomanes dont le discours est bien sûr inaudible du fait de leur statut. Burroughs et quelques-uns sont des exceptions, leur message est tellement tortueux que le saisir demande soit d’être extrêmement ouvert, soit d’avoir vu les mêmes choses. Burroughs est un shoot de réalité dans une ambiance psychédélique. Ou l’inverse.