L'histoire :
Pour elle, tout ce qui compte dans la vie, c’est dessiner. Et par là-même, inventer des histoires. Rien ne trouble cette occupation dans son quotidien de petite fille vivant avec ses parents dans le quartier résidentiel d’une ville laissée anonyme. Jusqu’à ce jour automnal de 1977, où sa mère décide de déménager… dans les toilettes de l’appartement. Incompréhension, culpabilité, tristesse se mêlent dès lors dans l’esprit de l’enfant, qui ne parvient, après le désespoir de l’attente, qu’à se faire inviter aux repas que sa mère prépare dans l’étroite pièce. Petite fille meurtrie par l’abandon, elle surinvestit ce maigre lien et se réfugie dans l’excès de nourriture, s’enferme dans son armoire et devient peu à peu le double malheureux de sa mère. Quand l’école reprend, son corps s’est modifié, et la cruauté des enfants ne fait que prolonger la douleur. Elle ne pense dès lors qu’à une chose : atteindre les étoiles…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’absence. Sujet majeur de ce court récit que la couverture et le rose envahissant des premières pages nous invitent à ouvrir comme un album jeunesse, mais dont la gravité intrinsèque force à revenir sur ses premières impressions. Fait immédiatement marquant : l’histoire se racontera sans personnage, à la faveur d’un sentiment marqué de solitude. Les images très graphiques et bi-chromatiques n’invitent qu’à suivre des espaces – le quartier résidentiel, les pièces de l’appartement, la salle de cours de l’école – invariablement vides. Sans chair, les individus existent pourtant, par empreintes, celles de leurs paroles, des objets qu’ils utilisent, ou pour le cas de Lulu, de ses dessins d’enfant, qui traversent l’œuvre. De la même manière, Helen Blejerman travaille magnifiquement les jeux de lumière, qui ne donne corps à certains éléments que par l’ombre qu’ils projettent. L’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent, créant au passage de très belles mises en abymes de cadres, cases, gaufriers, au cœur d’une autre thématique en question ici : l’enfermement. Si la claustration d’une mère et de sa fille paraît au premier abord métaphorique, on en comprend peu à peu le caractère autobiographique, et tragiquement réel. C’est bien la souffrance enfantine de l’auteure qui nous est retracée ici, signifiée avec splendeur et finesse par ces images qui sont bien davantage porteuses de sensations que de narrations et un texte à la première personne qui met à jour les pensées fantasmatiques d’une petite fille qui cherchent les armes à sa portée pour se protéger de la brutalité d’un monde dont le sens lui échappe. A la folie de sa mère qui l’a emportée comme une vague, elle répond par son imaginaire et son plaisir à raconter des histoires dessinées. 38 ans plus tard, ce premier album d’une sensibilité remarquable, tant scénaristique que graphique, consacre son talent.