L'histoire :
Un été de 2015, sur une prairie du plateau des Millevaches, un troupeau de brebis « limousines » s’auto-satisfait de son sort. Elles se sentent bien chez elles, elles broutent, elles entretiennent le paysage. Elles regrettent juste cette vaste plantation de Douglas (une espèce de hauts sapins introduits en France et originaires de l’Ouest américain) qui occupe trop de terrain. Les brebis font du racisme de base et reprochent ouvertement la présence artificielle de ces américains. Les Douglas leur rétorquent qu’ils sont plus rentables qu’elles, qu’il y avait justement de la place ici. La bergère entend ça et calme tout le monde. Il y a toujours moyen de s’entendre, enfin ! La bergère croise ensuite deux membres du Groupe Mammalogique et Herpétologique du Limousin (GMHL), qui étudie et protège la faune et la flore locales, et met ses connaissances à portée du grand-public. Le binôme informe la bergère de l’arrivée prochaine et probable du loup sur son territoire. Le prédateur s'est déjà installé dans le Cantal voisin, sa propagation naturelle devrait s’étendre sur le plateau des Millevaches. Il faut s’y préparer. Deux ans plus tard, deux premiers cadavres décharnés de brebis sont retrouvés. La police environnementale promet d’enquêter. Les brebis disent à leur bergère qu’elles ne savent pas trop ce qui s’est passé. Elles sont généralement concentrées sur leur activité de broutage et de sommeil ; et elles font instinctivement comme les autres lorsqu’elles sont en alerte : elles se barrent en courant…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Faut-il avoir peur du loup ? Les contes de fée ont fait des ravages dans l’imaginaire collectif au sujet de cette espèce qui a, comme toutes les autres, la légitimité d’exister. Troubs s’y est intéressé, notamment en menant une enquête très contemporaine dans le Limousin, sur le plateau de Millevaches où le loup s’est naturellement réintroduit en 2017 – après avoir « disparu » pendant des dizaines d’années. Or, malgré son nom, ce champêtre coin de nature est aujourd’hui surtout utilisé pour de l’élevage de… moutons. Or (bis), le loup a quelques nécessités alimentaires et de robustes instincts de chasse. Evidemment, le mouton au menu lui convient pas mal. Sur ce contexte, on aurait pu s’attendre à un ouvrage polémique sur l’acceptation (politique) ou la lutte radicale (des éleveurs) contre la réintroduction de ce prédateur. Mais Troubs dépasse ce clivage simpliste et propose une approche subtile vulgarisatrice sur le sujet. Il met par exemple en scène des personnages humains… zoomorphiques, qui discutent ou agissent en faveur d’un équilibre politique. Les éleveurs, activistes, policiers, éthologues, villageois, sont ainsi représentés avec des têtes de hiboux, lapins, caniches, fox-terriers… et ils évoquent le sort de « vrais » animaux (moutons, chiens de berger et loups). Encore plus fort : toutes les espèces animales et même végétales (les Norman, les chênes, les trèfles !) parlent et partagent en phylactères leurs sentiments selon des propos relativement... plausibles, eut égard à leurs conditions. Troubs fait de l’astucieuse psychologie animale et végétale. En plus de vulgariser les mécanismes éthologiques et politiques de protection animale, de montrer qu’il est possible de réfléchir ensemble sans entrer dans des postures prémâchées et archaïques, il délivre un beau message de tolérance. Certes, l’immersion narrative manque de « rythme », elle n’est pas grand-public. Mais devant le marasme actuel sur la biodiversité, les démarches intelligentes comme celle-ci sont plus que nécessaires.