L'histoire :
Dans la jungle, son humidité suffocante, son air stagnant, au milieu des plantes qui irritent la peau, de mille odeurs de putréfaction et d’un bruit assourdissant, évolue un magnifique prédateur : l’homme. Une lance à la main, un arc en bandoulière, ce chasseur parcourt sa vie en restant à proximité de la grande eau. L’eau pourvoit à tout : à son rivage, l’homme se repose, se lave, boit, se nourrit… Il peut même lire son tragique avenir dans son reflet. Mais le funeste destin qui l’attend n’est pas sa préoccupation du moment. Le chasseur a en effet repéré la trace d’une bête, un grand cerf. L’animal devient aussitôt sa future proie, son objectif, son obsession. Il pourrait nourrir toute une famille pendant des semaines. Un groupe de chiens sauvages l’a également compris. L’un d’eux attaque, mais les bois du cervidé sont aussi acérés qu’une lance, ils sont prévus pour déchirer la chair. Le cerf se défend aisément, étanche sa soif dans la rivière et repart. Les chiens pleurent l’un des leurs. Espion à distance, le chasseur sait à quoi s’en tenir. Il va pister la bête, jusqu’à trouver une bonne occasion de lui décocher une flèche…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’environnement initial de la jungle laisse d’abord penser que le contexte temporel dans lequel évolue ce chasseur est préhistorique. Nous découvrirons avec les buildings de la fin, qu’il est surtout archaïque, qu’Alberto Vasquez nous convoque surtout à retrouver l’essence première de l’individu chasseur-cueilleur, de l’homme face aux besoins primaires que lui offre la nature. Et sans doute, ce paramètre d’époque est une mauvaise piste, car cette fable du chasseur ressemble avant tout à une allégorie intemporelle de notre perte d’humanité, qui se produit à mesure que la civilisation humaine se modernise, s’urbanise et détruit son environnement. Ou en prenant encore plus de recul, une allégorie de la vanité de l’existence. Le chasseur poursuit une proie, qui se dérobe sans cesse… et lorsqu’il l’attrape, c’est pour s’apercevoir qu’il n’est pas, lui, à l’origine de ce succès. L’érosion, le déclin naturel de toutes choses a fait son œuvre et il est devenu lui-même la proie de forces qui le dépassent. C’est puissant, désespérant et flippant… quoique, certes, déjà mainte fois exploré par divers philosophes (Rousseau, Camus, Sartres…), en moins évocateur, certes. Vasquez illustre sa fable désespérée à l’aide d’un dessin expressionniste sombre, un lavis à l’encre noire et charbonneuse, qui suggère plus qu’il ne montre. Nous ne saurons jamais à quoi ressemble le chasseur, il reste une masse noire, parfois disproportionnée, lointainement insinuée ou symbolisée, au milieu du fourmillement d’une nature illustrée avec un pinceau épais et imbibée d’eau. S’agissant d’une métaphore atrabilaire qui réclame une distanciation avec notre quotidien terre-à-terre, la technique est congrue et parfaitement efficiente.