L'histoire :
De nos jours, deux chasseurs se promènent dans la garrigue provençale. Au détour d’un sentier, leurs chiens s’excitent. Et il y a de quoi : ils tombent nez-à-nez avec un pendu. L’homme est noir, maculé de son propre sang et il porte une pancarte « On est chez nous » autour du cou. Cela a tout l’air d’un crime raciste. Malgré la propension ordinaire de ces chasseurs-là à céder à la xénophobie de bas étage, ils appellent aussitôt les flics. La nouvelle de ce crime fait vite le tour de la bourgade proche de Tarvaudan. Or justement, Thierry Mongin, un jeune journaliste du magazine Focales, vient de débarquer du TGV. Il est là pour interviewer le maire sortant, Roland Delonais, membre du parti d’extrême droite « Nation & Liberté », à l’approche des élections municipales pour lesquelles il est en terrain conquis. Néanmoins, la presse se gargarise que Delonais accepte de laisser sa place de candidat à Chloé Vanel, jeune et ambitieuse (et jolie…) égérie du parti, afin de lui faire un tremplin à l’échelle nationale. Officieusement, entre ces deux-là, c’est « je t’aime moi non plus » – les magouilles vont bon train. Lorsque tombe la nouvelle du crime raciste, toute la presse se rue dans la garrigue. Mais pas Thierry Mongin, qui fait de l’investigation de fond et évite de céder au sensationnalisme…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Deux cas de figure : soit vous êtes sensible aux arguments de l’extrême droite et cet album va définitivement vous chiffonner ; soit vous savez décrypter les idées courtes et nauséeuses, et cet album ne vous apprendra pas grand-chose que vous ne sachiez déjà. En dépit de ses louables intentions didactiques et de son rythme narratif exemplaire, le scénario de Sylvain Runberg (serial-scénariste) et d’Olivier Truc (journaliste spécialisé de l’extrême droite) aligne ici les archétypes des réflexes identitaires décryptés depuis des années par les experts politiques comme Jean-Yves Camus – qui signe d’ailleurs un long et intéressant entretien en postface. Quoiqu’on en dise, toutes ressemblances avec des personnes existantes ou ayant existé ne sont évidemment pas fortuites. A moins que la jeune et blonde Chloé Vanel, qui s’est momentanément retirée de la vie politique, pour mieux revenir en haut de l’affiche avec des idées plus « musclées », ne vous fasse penser à personne en particulier ? On suit donc l’intègre reporter de fond Thierry Mongin dans son enquête de terrain au milieu des racistes à différents degrés. Il doit louvoyer entre les préjugés des uns, les méfiances des autres, les planches savonnées des troisièmes, face à une problématique sociale inextricable – la région a besoin des immigrés pour les récoltes, mais le discours ordinaire les stigmatise. Et les violents tirent la légitimité de leurs crimes de la banalisation de cette stigmatisation populiste. Au dessin, Nicolas Otéro déroule sa griffe semi-réaliste reconnaissable entre mille, essentiellement focalisée sur les personnages, avec par moment un effort suspect de caricature (Jean-Luc Mélanchon !) qui dénote avec l’ensemble et brouille la dimension intemporelle. Un second tome viendra refermer le diptyque, sans doute en 2020…