L'histoire :
Ils étalent huit. Tous accusés d’avoir participé à un complot visant à rétablir le Parti révolutionnaire populaire de la Corée du Sud. Pour cela, ils ont été jugés à la peine capitale. Avant d’être mise à mort, le capitaine Park a été convoqué pour assister au moment de l’exécution en guise d’aumônier militaire. N’ayant pas d’autres choix, il a accepté cette tâche difficile. Aucun des condamnés à mort n’a reconnu les faits et tous se sont insurgés contre une justice expéditive et arbitraire. Plusieurs ont eu une dernière requête, mais aucun d’entre eux ne l’a obtenue. Aucun n’a prié malgré la demande de l’officier ; et le capitaine Park a prié pour eux alors qu’ils se faisaient pendre sous leurs yeux. L’aumônier est parti, choqué par ce terrible spectacle, empochant tout de même la coquette somme de 300000 wons pour ce service et l’obligation de rester silencieux sur cet événement. En sortant, il a vu les familles des exécutés supplier qu’on les libère, ignorant qu’il était déjà trop tard. Mais qui étaient ces pauvres innocents exécutés par leur propre pays ? Qui étaient leur famille et comment ont-ils vécu ces événements tragiques ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Park Kun-woong, auteur coréen engagé et profond, livre ici une œuvre monumentale. Plus de 350 pages d’un témoignage terrifiant sur un événement sordide en Corée du Sud en 1975. Le dictateur de l’époque, Park Chung-hee, avait fait arrêter huit personnes de façon totalement arbitraire, les accusant d’être des communistes dissidents. Une belle façon de détourner le regard sur son parti qui était en crise à l’époque. Huit personnes sacrifiées pour la « bonne » cause et finalement exécutés. Kun-woong revient sur cet événement noir de son pays en racontant le plus précisément et fidèlement possible le destin tragique de ces huit victimes. Mais au lieu de décrire les scènes du point de vue des condamnés, il se focalise sur ceux de la famille qui a été frappée de plein fouet par cet acte absurde. Faisant donc parler les épouses et les enfants comme autant de témoignages de l’horreur, Kun-woong trouve finalement un ton plus glaçant en y rajoutant une dose d’émotions fortes et poignantes. Chaque partie répète inlassablement les mêmes scènes : l’arrestation, l’absence longue et aucune information, les parodies de procès, la mort et la difficulté de survivre après ça. On assiste également à des détails terribles : la façon dont les policiers menaient les interrogatoires, l’interdiction de droit de visite et même de voir le corps, les familles des victimes espionnées pendant des années, les proches qui évitent ensuite les familles suppliciées. A la fin de chaque saynète, le texte se fait de plus en plus rare, comme s’il n’existait pas de mots assez forts pour exprimer la souffrance et le désarroi vécus par ces familles. Dans un noir et blanc crépusculaire, l’auteur ne met aucun visage, comme si les victimes étaient des anonymes broyés impitoyablement et sans aucune raison. Seul le visage du dictateur apparaît, comme pour mieux l’accuser de ses meurtres. Le choix des motifs et l’art de représenter des détails de la vie quotidienne rajoutent encore plus de force à l’ensemble. Il faudra tout de même s’armer de courage, car rarement un album aura été aussi déchirant dans sa façon de montrer la souffrance et l’horreur vécue jour après jour, avant, pendant et après la mise à mort. Un hommage magnifique et un nouvel acte fort de la part de Kun-woong.