L'histoire :
Le samedi 10 juin 1922, le jeune français Mr Raucat visite l’exposition universelle de Tokyo. Il fait alors la queue sur une passerelle de l’étang au sein du parc de Ueno, afin de monter à bord de l’attraction en vogue : un hydroplane. Son cœur chavire alors à la vue d’une ravissante musume (jeune femme). Il n’a alors de cesse que de pouvoir l’aborder et lui proposer un rendez-vous galant. Hélas, un entrepreneur, l’industriel du savon Satô Daisuke, s’interpose sans cesse et perturbe ses plans. Afin de nouer un partenariat, Daisuke va même jusqu’à payer le billet d’accès à l’hydroplane au français. Mais Raucat est opiniâtre et il parvient finalement à s’asseoir à la place juste à côté de la jeune femme, prénommée Fumiko. Il l’aborde en lui parlant japonais, ce qui séduit l’élégante demoiselle. Son approche est à la fois très galante et insistante. Il lui propose clairement une promenade sur l’île d’Enoshima, et de s’y rendre à l’aide du même train qu’elle. Les joues rouges, Fumiko accepte… mais Mr Daisuke aussi, qui compte bien poursuivre la discussion autour d’un éventuel accord industriel !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cette Honorable partie de campagne ne raconte rien d’autre qu’un rendez-vous galant entre un jeune européen et une belle japonaise. Une rencontre légèrement perturbée par les aléas de la vie, mais racontée par le détail et via bien des circonvolutions de politesses et de convenances, selon différents prismes. Il s’agit à l’origine d’un roman publié en 1924 par l’écrivain et militaire français Thomas Raucat (de son vrai nom Roger Emmanuel Alfred Poidatz), longtemps immergé et séduit par la société nippone. Dans son art descriptif des sentiments et le lent choix de ses mots pour y parvenir, celui-ci n’a visiblement rien à envier à l’œuvre de Marcel Proust. Il n’est pas très étonnant que Jean-David Morvan, lui aussi français longtemps immergé au Japon, ait souhaité adapté cette œuvre, alter ego de sa propre destinée. Les encadrés descriptifs, au verbe soigné et aussi précieux que précautionneux, composent 90% de la narration. Comprenez bien, de notre point de vue d’européens rustauds : les acteurs multiplient ici lourdement les finesses distinguées, les politesses caricaturales, les approches prévenantes et les détours interminables autour du pot. L’adjectif « honorable » est notamment employé une fois sur deux. Les chapitrent distribuent les points de vue : tantôt celui de Raucat en tant que personnage principal, tantôt celui de Fumiko, la jeune femme dont il s’éprend follement, tantôt celui de seconds couteaux. Le dessin de Roberto Melis déroule une veine semi-réaliste entièrement réalisée au lavis bichromique de gris bleutés et de rouge pur. Elégant, patient, il excelle à planter les larges panoramas sur le Japon de l’ère Taisho (post Meiji). Le pays connait alors un fastueux développement économique et culturel, mais il sait aussi conserver ses traditions. Comme l’explique fort bien Pierre-Alain Szigeti dans sa postface, il faut y voir le compte-rendu avisé de l’état social du Japon à l’époque, un point de vue décortiqué de ce que l’écrivain a compris de la mentalité japonaise, alors même qu’il a compris qu’il n’a rien compris.