L'histoire :
Le 3 juin 1944, un vieil homme se promène seul dans la forêt vallonnée de Berchtesgaden. Il se retrouve soudain face à face avec un cerf, qui se met à l’arrêt. Pendant quelques secondes, l’homme et l’animal se font face, immobiles à quelques mètres l’un de l’autre. Un peu plus loin, un chasseur les tient tous les deux dans la lunette de son fusil. Initialement, il était venu pour chasser le cerf, mais maintenant qu’il se retrouve avec Adolf Hitler dans son viseur, il hésite… Hitler a le regard hagard, il semble d’une grande vulnérabilité. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Finalement le cerf fuit ; et le chasseur décontenancé n’appuie pas sur la gâchette. Quand il rentre chez lui, le chasseur raconte son dilemme à sa femme. Il se doute que Hitler l’a vu et qu’il va avoir des ennuis. Or la seule contrepartie de cet évènement se déroulera quelques heures plus tard : un officier SS viendra lui demander officiellement d’abattre un cerf pour la fête qui doit avoir lui dans quelques jours. Hitler rentre à son tour à son nid d’aigle, au moment où une voiture y convoie deux putes pour ladite fête. Mais Hitler se fiche pas mal des dépravations de son entourage : il a rendez-vous pour son injection avec le docteur Morel. Eva Braun est partagée sur ce traitement, visiblement indispensable à son homme, mais qui le rend confus ou absent. Cette drogue procure de terribles hallucinations à Hitler…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le Berghof, alias le « nid d’aigle » du Berchtesgaden, était la résidence de villégiature d’Adolf Hitler dans les Alpes bavaroises, une résidence qu’il avait acquise dès 1933 (l’année où il fut élu chancelier). L’ambiance délétère qui y régnait au début juin 1944, tandis que les alliés préparaient et effectuaient leur débarquement en Normandie, a été en partie documentée, notamment par les dignitaires qui y séjournaient régulièrement (comme Göring). A l’époque malade de Parkinson, Hitler se droguait et il était de plus en plus confus. La déliquescence de son état de santé allait de paire avec la déchéance du Reich. Sa « cour » se perdait alors en conjectures pour savoir comment lui parler, le contenter ou tout simplement l’informer des (mauvaises) nouvelles pour les nazis. L’image de couverture fait sans doute référence au Portement de Croix de Jérôme Bosch, toile culte du XVIème, avec cette accumulation de faciès hideux ou stigmatisés, serrés et nocifs, dans un espace cloisonné. A l’instar de cette célèbre œuvre, Marco Galli montre le panier de crabes qui entouraient le diable… mais le diable est absent de la toile. Hitler est ailleurs et esseulé. Au gré d’une narration volontairement décousue et de cadrages parfois décentrés ou incertains, l’auteur découpe son récit en autant de chapitres que de jours : du 3 au 7 juin 1944. Entre problématique des menus à table, les suspicions d’ennemis infiltrés, la décadence des soirées – alcool, tabac, putes – la terreur et l’admiration qui exhale du Führer sur son entourage, on y constate surtout la déliquescence morale et intellectuelle d’un monde à l’agonie. Galli se laisse souvent porter par les hallucinations du Führer, ce qui accentue la confusion des évènements. Ce parti-pris se trouve en parfaite concordance avec la fin de règne névrosée de Hitler, qui refuse d’admettre qu’il a perdu la main sur la destinée du Reich.